Les plaques de signalisation routière annonçaient une forte déclivité du terrain et invitaient les poids lourds à une forte limitation de vitesse. Le macadam mouillé incitait d´ailleurs à la prudence bien que la chaussée fût large et le trafic peu dense. «Voilà une véritable autoroute! s´écria Si Boudjemaâ. C´est vraiment l´idéal pour voyager. Ah! Si toutes les routes d´Algérie étaient ainsi faites! - Ce ne sera une véritable autoroute que lorsque il y aura toutes les infrastructures adéquates! précisa Noureddine sur un ton doctoral. L´autoroute suppose des aires de repos espacées, des «restoroutes» où les routiers peuvent se détendre un petit peu, des cabines téléphoniques. Le chemin est encore long pour arriver à cette situation. Pour l´instant, il n´y a que des patrouilles de gendarmerie pour rassurer les usagers. Et puis, la route est tellement fréquentée qu´on ne risque guère de rester en panne. Enfin nous arrivons à El Khemis. - Avant, je croyais qu´El Khemis et Miliana étaient les deux noms d´une même ville. - Mais non! Les paysans ou les montagnards donnaient à des hameaux les noms de jour de marché. Comme cette petite bourgade est située en plaine au carrefour de l´Est et de l´Ouest, les montagnards trouvaient plus commode d´y installer un lieu d´échanges. Avant, El Khemis s´appelait Affreville. Les colons lui avaient donné le nom d´un archevêque de Paris qui avait voulu servir de médiateur entre le gouvernement français et les révolutionnaires de 1848. Il est mort d´une balle perdue.» Une bretelle maladroitement tracée obligea le conducteur à tourner brusquement sur la droite pour s´engager sur une route étroite qui portait encore les traces des travaux périphériques. Après un autre virage à gauche, la route fila droit sur la petite ville où régnait déjà une intense circulation. Un contrôle de gendarmerie avec guérite marquait l´entrée de la ville. La voiture contourna un rond-point encombré qui indiquait un centre-ville animé et fila vers le sud après avoir passé un centre universitaire et un poste de contrôle, puis emprunta une piste parsemée d´ornières le long de laquelle des écoliers en petits groupes se pressaient vers l´extrémité du petit pont où attendait un bus jaune de ramassage scolaire. Le pont enjambait des eaux stagnantes et sales, la route s´engagea entre de vastes champs. «Nous venons de franchir le Chélif! dit dédaigneusement Noureddine. Voilà le début d´un grand oued qui ressemble à un cloaque. Mais ne te trompe pas, nous sommes dans la wilaya de Aïn Defla. Comme tu peux voir, toute cette région est agricole. Elle est riche et elle a été l´un des centres de résistance de l´Emir Abd El-Kader. Elle a dû être le théâtre de toutes les exactions inimaginables et de toutes les spoliations possibles commises par le colonialisme. D´ailleurs, toute cette partie est pleine de petites bourgades qui portaient des noms français. Nous allons bientôt traverser un village qui s´appelle Bir Ould Khelifa qui, du temps des Français, avait pour nom Le Puits. C´est dire que l´eau avait toujours une grande importance ici. Puis nous traverserons Bordj Emir Khaled, baptisé ainsi après l´Indépendance en souvenir de la visite que fit le petit-fils de l´Emir chez les amis de son grand-père. Avant, cela s´appelait Général Gouraud. Les colons donnaient ainsi des noms des anciens responsables de la guerre coloniale à tous les petits hameaux où ils créaient des centres de colonisation. Nous, nous avons été moins touchés par ce phénomène car, chez nous, il n´y avait rien à gratter! C´est un juste retour des choses que de redonner des anciens noms aux villes et villages qui ont eu des noms français, mais je ne comprends toujours pas pourquoi les gens ont accepté que Ménerville devienne Thénia. Elle s´appelait avant Tizi Nath Aïcha. Comme c´est un nom berbère, le pouvoir bâathiste l´a effacé.