La déviation conduisant à Khemisti était vraiment fastidieuse: la piste étroite et parsemée de nids-de-poule obligeait les conducteurs à rouler au pas. Heureusement tout de même que la circulation ne se faisait que dans un sens. Il faut se rendre à l´évidence que la route principale qui traverse la petite ville n´était pas en bon état et qu´elle nécessitait une totale réfection, opération qui entraînerait automatiquement des souffrances pour les usagers. Des dos-d´âne aussi mal conçus que ceux qu´on rencontre un peu partout dans notre pays ralentissent les nombreux véhicules qui empruntent l´unique voie pour rejoindre Tissemsilt ou Tiaret. Il apparaît clair dans l´esprit de Noureddine que dans les cartons des planificateurs, il doit y avoir sûrement un projet d´évitement de cette bourgade comme cela s´est déjà fait sur la route qui mène vers l´Est. Mais il faudra peut-être attendre l´hypothétique décollage économique de la région...Le centre du village est une place où se tiennent, d´un côté, les cafés et les commerces, et de l´autre, une vague aire de stationnement pour taxis, bus et camionnettes. Des agents de police tentent de régler un incessant va-et-vient de piétons et de véhicules qui génère une impression de désordre. Ce qui agace profondément Noureddine. «Voici Khemisti, ex-Bourbaki! Je ne m´arrête jamais ici! Le seul endroit où je suis tenté de le faire, c´est à Bordj Emir Khaled. Et encore, quand j´ai vraiment faim! Quand il fait chaud ici, tu as l´impression d´être au Mexique! Il ne manque que les sombreros! C´est ici la "Bourse du travail": celui qui a besoin d´un manoeuvre ou d´un travailleur spécialisé c´est ici que se règlent toutes les petites affaires quotidiennes. Et les gens sont d´une nonchalance! C´est comme dans toutes les petites villes de chez nous où le commerce informel est l´activité la plus visible, puisqu´elle se fait au grand jour. La première fois que je suis passé par ici, j´ai été très étonné par la dénomination de ce lieu, puisqu´il y a une autre petite ville qui porte le même nom du côté de Tipaza. J´ai tout de suite pensé qu´elle a été baptisée ainsi pour honorer la mémoire du premier ministre des Affaires étrangères de l´Algérie indépendante, assassiné en 1963 par un déséquilibré... Encore un qui n´a pas eu de chance! Eh bien non! C´est en cherchant sur la Toile que j´ai découvert qu´on lui avait restitué son nom berbère d´avant la colonisation. Ce n´est que justice! En France, quand il y a deux localités homonymes on ajoute tout de suite après le nom principal une locution qui situe l´agglomération dans l´espace géographique: sur un cours d´eau, près d´une grande ville ou dans le terroir même. C´est simple, chez nous on a deux Aïn Defla, deux Khemisti, deux M´cirda et que sais-je...Tu as vu que la plupart des villages que nous avons traversés portaient jadis le nom d´anciens officiers supérieurs de l´armée coloniale ou de personnalités éminentes des lettres, des arts ou de la colonisation tout simplement. Je me demande bien pourquoi on rend hommage à certains de nos hommes de valeur qui ont rendu des services inestimables à la nation en donnant leur nom à des localités, perpétuant ainsi leur souvenir, et pas à d´autres. Si Ben M´hidi, Lotfi, Bougara, Mendjeli, Badji Mokhtar et Boussouf ont reçu cet hommage, il n´en est pas de même pour Abane, Mohand Oulhadj, Chaâbani, Mira, Haouès et Amirouche. Il y a comme un soupçon qui sent la discrimination dès que le nom de certains martyrs enterrés deux fois est prononcé. On a vu la triste polémique soulevée par la publication d´un livre sur l´itinéraire du prestigieux chef de la Wilaya III. Il y a des martyrs qui, en faisant le sacrifice suprême, n´ont quand même pas échappé à l´article 120!»