Je m´étais promis hier de dire que la vérité, la stricte vérité, mais pas toute la vérité car en temps que simple Galérien, anonyme, moyen pour ne pas dire médiocre, il m´est impossible d´accéder aux sources d´informations que détiennent les Galérois, des gens puissants et riches qui ont toutes les certitudes bien ancrées en eux et qui soutiennent mordicus, que toutes les décisions qu´ils prennent, sont en faveur de tous les Galériens sans distinction de race, de sexe ou de religion. Mais hélas, la réalité, bien amère, est tout autre! Et c´est la raison pour laquelle, les plus jeunes galériens, ceux qui n´ont pas réussi à trouver un travail rémunéré pour nourrir la famille nombreuse (car les Galériens ont la fâcheuse tendance à se reproduire comme des lapins, et c´est là l´une des causes profondes de leurs déboires) et qui sont fatigués de faire des démarches inutiles, de soutenir des murs qui ne veulent plus les soutenir, de brûler des pneus (cela ne sent pas toujours bon et c´est polluant) et d´échanger des coups avec des types casqués et armés de matraques, de prendre le large et de confier leur destinée aux courants marins pour atteindre leur terre promise, qu´on appelle à présent l´espace Schengen. Mais, voilà, dans cet espace merveilleux où on respecte, aussi bien les droits des ratons laveurs que ceux des bipèdes doués de raison, on n´aime pas les Galériens et chacun a, au moins, une raison de ne pas les aimer: certains les trouve sales, d´autres se plaignent du bruit qu´ils font, ceux-ci trouvent qu´ils ont un vilain faciès brûlé par le soleil et si différent de celui des autochtones de Schengen, ceux-là leur reprochent de manger le pain des autres et de vivre des allocations familiales et des nombreux avantages sociaux dont jouissent tous ceux qui ont le bonheur d´habiter Schengen et sa banlieue, de vouloir envahir sournoisement le pays de Gale pour y construire des mosquées, de faire porter le voile à des femmes qui ont un si beau minois, et les plus nombreux disent carrément aux Galériens de retourner chez eux puisqu´ils ont voulu leur indépendance. Voilà le drame des Galériens pris entre le fer des Galeux qui ne veulent plus d´eux et l´enclume des Galérois, qui les persécutent et les privent de tout et même de l´essentiel, c´est-à-dire la liberté, cette chose invisible pour laquelle leurs aînés se sont tant battus, enfin certains de leurs aînés. C´est que l´histoire des Galériens est bien triste: avant l´arrivée des Galeux, c´était un peuple sans histoire, on ne parlait pas d´eux. Puis, un jour, pour une malheureuse facture manipulée par les disciples du Rab Ankaoua, les Galeux sont arrivés en force et ont conquis la Galérie qui ne s´appelait pas encore comme ça à l´époque. Le pays passait pour être un nid de pirates et pour un grenier à blé. Quand les Galeux s´y sont installés, ils ont ouvert des écoles et ont enseigné leur langue aux Galériens qui apprirent à écrire sans complexe: «Nos ancêtres les Galeux, vivaient dans des huttes en bois» bien que les Galeux aient fini par construire des HLM, alors que les Galériens n´arrivaient pas à sortir de leurs bidonvilles. Les Galeux maintenaient les Galériens dans une misère atroce au point qu´un écrivain célèbre publia un livre sur cette terrible maladie qu´on appelle la peste: le travail mal payé est chichement donné et les meilleurs postes sont réservés aux Galeux, sans parler de fausses élections organisées par un certain Naegelen avec des urnes bourrées. Un jour, de courageux Galériens prirent la courageuse résolution de bouter les Galeux hors de la Galérie et de les envoyer dans leur pays froid où les gens ont l´habitude de manger du sanglier...