Le problème de Thaddart est celui de tous les villages de la région: une pression démographique très forte entraîne inéluctablement le morcellement des terres et des propriétés foncières. Il arrive un moment où les parcelles sont tellement réduites que les héritiers se résolvent à vendre leur part, la mort dans l´âme. C´est quand il est réduit à la dernière extrémité que le montagnard vend le bien hérité. Ainsi, les riches ou ceux qui ont un revenu régulier, voient leurs propriétés s´agrandir au fil des générations, et ceux qui ont subi les coups du sort, que ce soit du côté de la santé ou de la mauvaise conduite, se voient ruinés et poussés souvent à émigrer vers d´autres cieux. Ainsi, le premier forgeron a dû faire de bonnes affaires puisqu´il a acheté de nombreux champs et des maisons dans le quartier des micocouliers. Cependant, les demeures du quartier se révélèrent vite trop exiguës pour sa nombreuse descendance. Ainsi, mon grand-père paternel devait acheter une petite maison juste en face de la forge (la boutique) du quartier des micocouliers, à une famille dont le nom est resté attaché à tout le quartier. La maison de mon grand-père, je l´avais connue comme elle est restée pendant presque un demi-siècle, avant que mes oncles, arrivés à l´âge adulte, ne la reconstruisent. Elle consistait, comme la plupart des maisons de la région, telles qu´elles ont été décrites par Hannoteau et Letourneux en une très grande pièce divisée en deux parties: une partie basse qui servait d´étable à deux ou trois bovins et une partie haute où dormaient les adultes et les enfants. Au-dessus de l´étable, il y avait un grenier et dans un coin de la partie haute, un canoun où l´on faisait la cuisine en hiver: cela réchauffait la maison, mais noircissait les murs et les solives du plafond. Sur le côté, il y avait trois «acoufis», ces silos faits de terre glaise mélangée à de la paille. L´un était réservé à l´orge, un autre au blé et le troisième aux figues sèches que l´on conservait avec des feuilles de laurier rose. A l´extérieur de la maison, il y avait une espèce de four en argile qui servait de cuisine pendant les beaux jours. Ainsi, mon grand-père paternel, après un séjour assez long à Annaba où il dut émigrer pour économiser un petit capital nécessaire au démarrage de sa forge, prit épouse vers 1908 et s´engagea, pour répondre aux besoins de sa petite famille, à une double activité: artisanale et agricole. Il réunit ainsi sans le savoir, la faucille et le marteau.