Ils veulent que justice soit faite. «Eu égard au caractère exclusif de l'état de ruine subi par le bâtiment, il est fort probable, malheureusement, que cet aspect ne soit que le résultat d'une multitude d'insuffisances dans la combinaison, dont l'effet a été plus que fatal au bâtiment et aux occupants des lieux.» C'est ainsi que commence le rapport de M.Rachid Bachine, un expert en génie sismique. Lequel a été sollicité par les locataires du bâtiment 73A cité Ibn-Khaldoun (1200 Logements), à Boumerdès, pour effectuer une contre-expertise de ladite bâtisse, qui s'est complètement effondrée lors du séisme du 21 mai. Parmi les causes de cette ruine, le rapport relève «la méconnaissance de la nature sismique de la région». Néanmoins, «cette carence, aussi importante soit-elle, ne peut pas justifier, à elle seule, l'ampleur du désastre». La faute humaine est traduite, selon M.Bachine, à travers «le piétinement des règles les plus élémentaires dans la construction». Il cite, à titre d'illustration, l'implantation du bâtiment sur un talus non protégé, la mauvaise conception du plan et le choix des matériaux de construction non adaptés à la dimension du projet. C'est à la base de ce document que les 10 locataires du 73A, un bâtiment qui a enregistré 25 morts, comptent se constituer partie civile pour lancer une action judiciaire contre le constructeur. «Nous voulons que les responsables de ce crime soient jugés pour homicide volontaire», précise l'un eux. Avant d'ajouter: «Nous ne demandons pas des dédommagements matériels, mais seulement que justice soit faite.» Notons que la construction de cet immeuble a été confiée, à la fin des années 1970, à la Direction des travaux et construction (DTC), filiale de Sonatrach. La plainte sera donc déposée contre cette société, mais les locataires tiennent à faire «la part des choses». «Nous n'accusons pas les responsables de Sonatrach, mais les personnes ayant eu la charge de chapeauter le projet.» Parmi eux des gens qui occupent toujours des postes de responsabilité au sein de Sonatrach. Les locataires ne comptent pas baisser les bras. «Nous ne les lâcherons pas», dira Réda qui a perdu son épouse. Ils s'indignent néanmoins contre «le silence total de l'Etat au moment où les démolitions s'accélèrent à Boumerdès». Le recours à la contre-expertise s'explique par le fait que les victimes se sentent aujourd'hui «trahies». «Ne sont-ce pas les services du CTC qui avaient donné l'avis favorable pour la construction de ces bâtisses? Comment voulez-vous qu'on leur fasse aujourd'hui confiance?» Ce manque de confiance se traduit aussi chez les autorités à travers l'intégration d'experts français dans les enquêtes sur les constructions effondrées. C'est le Président Bouteflika lui-même qui a déclaré que «le CTC ne peut être juge et partie». Par ailleurs, contacté par nos soins, le conducteur de travaux exerçant dans la direction incriminée par les locataires du 73 A , qui avait en charge le suivi du projet, a formellement démenti «ces accusations» en affirmant qu'un «contrôle rigoureux avait été appliqué sur les 1200 Logements». Par ailleurs, une autre source proche de l'ex-DTC nous a avoué que «le mur de soutènement ne figurait pas dans les plans de construction». Notons enfin que la commission d'expertise a confirmé dans son rapport, qui sera prochainement remis au Président, que «l'ampleur des dégâts aurait pu être moins importante si on avait respecté les normes parasismiques dans la construction». La commission a mis en exergue le fait que 60 % des ruines sont dûs à l'effet du site (sol inadapté). Second constat: les matériaux de construction ne répondaient pas aux normes, les experts ont enregistré la mauvaise conception des bâtisses, à travers notamment l'absence de cave parasismique.