«J'entends toujours parler de lui et puis ma mère travaillait avec lui à l'école où il enseignait». Toufik est venu voir ce bonhomme maigrichon entouré aussi bien des policiers en civil que des barbus en kamis. Toufik est né deux jours avant l'emprisonnement de Ali Benhadj. Kouba, une autre génération du quartier se rappelle-t-elle de Ali Benhadj ? Ceux qui l'ont connu ne sont pas venus en force comme craignaient les pouvoirs publics. Toufik en fait partie. Il sait que les voitures de police stationnées sont pour cet homme dont il assiste à la libération sans comprendre grand-chose, après avoir raté le jour de son incarcération. Ailleurs dans Kouba, la rue était indifférente. Peut-être en apparence. Les commerces ouverts, les fourgons fidèles à leur anarchie, et les jeunes toujours branchés football. Seulement il a suffi de se mettre à table dans un des cafés pour comprendre que la journée d'hier était incontestablement, pour les Koubéens celle de la figure emblématique de l'ex-FIS, Ali Benhadj. «Il est libre. Pourquoi était-il allé au siège de la Télévision. Que va-t-il faire avec Abassi et quelle est la mosquée où il priera ce vendredi?» A peine libéré, les gens étaient informés de ses escales. L'information s'est propagée à la vitesse grand V. Les interrogations sont tellement précises... Multiplication de check-points et renforcement du dispositif sécuritaire de sorte à éviter toute possibilité d'attroupements éventuels. Les artères principales de Ben Omar, Haï El-Badr, Garidi et Vieux-Kouba étaient particulièrement marquées par la présence des agents de l'ordre public. Il ne s'est rien passé. Juste les interrogations des uns, l'indifférence des autres mêlées parfois à l'appréhension. Ce que craignait le pouvoir n'est visiblement pas arrivé. Benhadj est entré après une tournée très symbolique : passage chez Abassi Madani, puis Bab El-Oued, une prière à la mosquée Sunna, puis visite chez Abdelkader Hachani et recueillement sur la tombe de ce dernier. Enfin un passage par le siège de la télévision avant de rejoindre sa famille (lire l'article de Fayçal Oukaci). Fidèle à son entêtement, il a tenu quand même à faire un bref discours, depuis le balcon de sa demeure. Les propos politiques étaient soigneusement évités. Juste des remerciements à ceux qui l'ont accompagné. Une foule timide s'est réunie près de la maison de Ali Benhadj très épuisé après 12 ans de captivité. Interdiction de passer pour la presse. Les proches du cheikh estiment que «trop de contacts avec les journalistes pourraient entraîner Ali Benhadj à faire des déclarations à chaud, pouvant être mal reprises. Il ne faut pas prendre de risques, vous me comprenez...». Les policiers chargés de prévenir tout imprévu partageaient au moins une chose avec le fils de Benhadj, Abdelfettah, celui qui n'a pas vu vieillir son père. Parfois ce dernier discute en aparté avec un des agents. Il s'agit visiblement d'éviter trop de va-et-vient devant la porte. «Il est très fatigué, passez un autre jour si vous voulez le voir», disait Abdelfettah. «Interdit de passer», disent les agents en repoussant les journalistes. L'heure de la prière de midi (dohr), beaucoup s'attendaient à ce que le cheikh aille prier à la mosquée du quartier. Le nombre de fidèles était un peu plus important dans la mosquée de Haï El-Badr dans l'espoir de le voir. Trop épuisé, il n'est pas venu.