Si jamais une ville ne s'enorgueillit pas de ses élites, elle sera ainsi qu'une louve qui dévorerait ses petits pour qu'ils ne sachent pas ce qu'elle est réellement... ... Mais certes, une ville n´est pas une louve, et le livre Tlemcen et ses élites (*) de Djilali Sari est, à ce sujet, une généreuse revivification culturelle et civilisationnelle qui rafraîchit le coeur et l´esprit de l´intellectuel de cette ville dont l´audience a historiquement dépassé ses limites urbaines et régionales. C´est une revivification pleine d´enthousiasme d´un intellectuel plein d´humilité qu´est Djilali Sari, géographe de formation, chercheur historien par vocation, à la vision sereine portée sur ce qui sert, à la fois, et sa ville, et son pays, et le Maghreb. Ce livre est aussi une pieuse annonce faite à ceux qui oeuvrent pour un essor culturel, socioéconomique, politique, tous azimuts, de notre pays: nous en avons les moyens intellectuels et physiques, nous en possédons les richesses rares du sol et du sous-sol. Que de voeux sont formés quotidiennement, partout dans notre pays, pour que nos valeurs intellectuelles, morales, éducatives soient mises en exergue comme devises nationales exceptionnelles: un engagement militant et intensément humain! Voici venu le juste temps de l´histoire qui libère l´homme de conscience... et lui donne la parole exigeante et vertueuse. La ville réclame son droit à la reconnaissance d´avoir fait des hommes et des femmes que la seule nature définit et, parmi ceux-ci, beaucoup ont fait leur vie pour la consacrer, en reconnaissance continue, à celle qui a été leur berceau: tout profit pour la ville, tout profit pour eux-mêmes. Dans son Tlemcen et ses élites, Djilali Sari a essayé de chercher et retrouver les signes de cette reconnaissance mutuelle obligée, sorte de fil d´or secret, entre la ville et ses élites et dont l´amour et le respect communs ont été constamment de le créer, de l´abandonner, de le recréer, et quelquefois de s´en séparer ou même de le fuir. L´auteur démontre que Tlemcen se mérite et que ses élites aussi. Par «élite», on pourrait entendre ici, le groupe des hommes et des femmes qui se sont distingués par ce qu´il y a de meilleur dans la société tlemcénienne par rapport à leurs activités. Sans doute l´université forme une élite intellectuelle dont les compétences servent la société civile, par exemple. Cependant, Djilali Sari s´intéresse à toutes les compétences humaines de la cité et il nous les présente dans leur propre champ d´activité. Et d´abord, dans un long avant-propos, il tient, à raison, à rappeler l´importance historique de Tlemcen en citant des auteurs du «terroir»: «Tlemcen n´est pas la tête, ni même le coeur de l´Algérie: elle n´a pas de lien avec les régions berbères de Kabylie, mais elle représente dignement aux yeux de tous la culture nationale avec une foi continue en ses valeurs authentiques (Nefissa Zerdouni).» De même, il cite le cardiologue Merad Boudia Khereddine: «De toutes les villes d´Algérie, elle [Tlemcen] mérite son titre de perle du Maghreb, elle est celle qui a gardé le plus de traces de notre civilisation arabe, berbère et musulmane.» L´auteur s´interroge sur d´autres idées-forces et les développe: «Sur les facteurs autant de sa notoriété que de sa genèse», «Les fondements de l´éducation de base»», «Les mérites et réussites», «L´acculturation et l´inter culturalité», «Les éminents professeurs, toutes disciplines confondues», «L´algéria-nisation perceptible dès la fin des années 1940», «Le rayonnement de la médersa d´enseignement franco-musulman à travers toute l´Oranie»,... Djilali Sari précise sa pensée: «Il importe d´identifier ces illustres maîtres et d´apprécier leurs rôles et performances, ces personnalités qui auraient dû figurer au panthéon de la nation algérienne au lendemain même de son avènement. Des personnalités d´envergure, certes demeurées dans l´ombre, mais qui par leurs compétences et leur haut niveau culturel et intellectuel n´ont-ils pas bouleversé les rapports de dominants à dominés au sein même ainsi qu´à l´extérieur de leurs institutions?» L´auteur illustre son propos par «une sélection aussi représentative que possible en fonction de la documentation accessible ainsi que d´investigations sur le terrain.» Il retrace, à grands traits et par des tableaux et des images, les étapes significatives du «fondement de l´élitisme tlemcénien» (revivification des énergies et des forces créatrices, enseignement des vertus et valeurs des grands maîtres dont l´illustre cadi Choaïb Aboubakr,...), «Emergence d´une élite en herbe», «Rôle des SMA», «Rôle des associations» culturelles, musicales et artistiques, des institutions et des établissements scolaires (Ecole Décieux, Collège de Slane, Médersa), les tout premiers bacheliers de Tlemcen,... La longue marche se poursuit en trois étapes, promettant un idéal de liberté et de démocratie, révélant des élites dans tous les domaines inscrits dans l´exceptionnelle histoire de Tlemcen. Chaque personnalité présentée souligne la certitude d´une Algérie humaine confrontée aux mauvaises ombres des occupations étrangères successives. On découvrira des intellectuels de tout ordre, des citoyens de haute conscience, des vies vouées à l´amour d´une ville qui ne cesse de se réaliser non pas seulement par sa grande production d´idées, mais également dans les faits, quotidiennement. Entrons librement dans le livre Tlemcen et ses élites de Djilali Sari et reconnaissons ces noms prestigieux fixés dans des pages à l´écriture alerte, précise et convaincante et découvrons d´autres noms d´hommes et de femmes qui nous diront, qui nous apprendront, sans aucun doute, que la célébrité par le mérite est avant tout une immense humilité au service de son pays. Que l´on me permette de saluer ici mon ami d´hier et de toujours, cité en page 221 parmi les élites de Tlemcen, Bachir Yellès Chahouch, un peintre aux douces et multiples évocations de l´imaginaire populaire en ce qu´il a de traditionnellement généreux et de digne. (*) Tlemcen et ses élites de Djilali Sari, Casbah Editions, Alger, 2011, 359 pages.