Les décideurs, en panne de crédibilité, viennent de rater une occasion inespérée de se racheter. Pourquoi des enquêtes sur la cause des effondrements lors du séisme du 21 mai ? Au lendemain de la catastrophe, les plus hautes autorités du pays se sont engagées devant la population à mener une enquête rationnelle, sérieuse et surtout avec célérité. Présidant la cellule de crise, installée quelques heures après le séisme, le Chef du gouvernement insistait à chacune de ses interventions que la loi sera appliquée dans toute sa rigueur pour punir les fauteurs avérés. Presque deux mois après, personne n'a vraisemblablement fauté et aucune tête n'est tombée, ce qui laisse croire qu'on est effectivement dans la République des intouchables. Le premier responsable du secteur de l'habitat, Mohamed Nadir Hamimid, a indiqué il y a un mois, (dans la rubrique à coeur ouvert de L'Expression ) que «les pouvoir publics ont mis en place une commission d'enquête nationale constituée par d'éminents experts dont certains sont de renommée internationale». Hamimid, a relevé que la majorité des bâtisses effondrées «sont celles qui appartiennent aux privés». A suivre le raisonnement du ministre, il est facile de déduire que le nombre d'immeubles concernés par l'enquête est relativement peu nombreux. Et la redondance revient au galop! Pourquoi l'enquête ne veut pas aboutir? Le Président de la République et le chef du gouvernement ont-ils jugé que les constats réalisés par les experts ne sont pas digne d'être livrés à l'opinion publique? Par cette énième promesse, non tenue, les décideurs en panne totale de crédibilité viennent de rater une occasion inespérée de se racheter. Et pourtant ce ne sont pas les moyens qui manquent. Pour preuve, la rapidité avec laquelle le relogement des sinistrés a été entamée renseigne sur les moyens colossaux mis par l'Etat pour l'opération. Quant aux 2778 vies perdues lors du séisme, on est tenté d'admettre que la responsabilité humaine n'y est «absolument» pour rien. Les entrepreneurs, les constructeurs, les importateurs des matériaux de construction et toute la nébuleuse du monde du bâtiment, seraient même «des victimes collatérales du séisme du 21 mai». Lors du conseil des ministres qui a eu lieu mardi dernier, le Président de la République a instruit le gouvernement à finaliser, sans délai, les enquêtes techniques menées sur les causes des effondrements de certaines constructions. Bouteflika a insisté à ce que soient données des suites judiciaires nécessaires chaque fois qu'il y a présomption de fraude et de non-respect des normes dans les constructions publiques ou privées. Cependant, il est à craindre que cette recommandation ne connaisse aucune suite car des présomptions de fraude existent au vu et au su de tout le monde sur le terrain. Ce qui ne fera qu'exacerber le sentiment «d'être abandonnés à eux-mêmes» des citoyens. Déjà au lendemain de la catastrophe, les populations des zones touchées par le séisme avaient exprimé leur courroux à l'égard de certains entrepreneurs et constructeurs. Récemment, documents et preuves à l'appui, des citoyens de Boumerdès avancent que des constructeurs n'ont pas respecté les normes qu'il fallait. Un rapport confirmant que le bâtiment 73A (cité Ibn Khaldoun 1200 logements à Boumerdès) porte en lui toutes les carences allant de sa conception au lieu de son implantation (voir enquête réalisée par L'Expression du 9 juillet). Ces citoyens ont décidé de ce constituer en partie civile pour ester en justice les personnes qui occupaient des postes de responsabilité au niveau de la direction construction et travaux(ex-filiale de Sonatrach). Au moment ou des affaires sont portées devant les juges, les enquêtes instruites par les autorités tardent à livrer leurs résultats par manque de faits avérés? Le communiqué du Conseil des ministres, qui semble en totale discordance avec la réalité du terrain, a rapporté qu'«un plan d'action, soumis au Président, le fruit d'une réflexion intersectorielle appuyée par l'expertise nationale et internationale a été adopté.» Les éléments du rapport ne vont pas plus loin que des constats faits par le commun des citoyens. Qu'on en juge par «les faits saillants» mis en évidence par ce rapport: la nécessité d'adapter la législation et les normes de construction a la réalité du risque sismique prévalant dans les zones Nord du pays, la nécessité de renforcer les moyens d'études, de recherche, de surveillance, de prévention et d'intervention pour limiter les effets des séismes sur les personnes et les biens. Le cas des habitants de la cité des 1200 logements de Boumerdès peut faire tache d'huile. Non seulement ils décident de se faire justice eux-mêmes, en sollicitant un expert privé au lieu de ceux désignés par les autorités, mais aussi ils s'apprêtent à s'en remettre aux ONG.