Dans cet entretien, Ahmed Khoudi, directeur du Théâtre régional Kateb-Yacine de Tizi Ouzou, parle de l'institution qu'il dirige, de ses perspectives, du théâtre algérien en général et du théâtre amazigh en particulier. L'Expression: Le théâtre communal Kateb-Yacine a été érigé en théâtre régional. Avec ce nouveau statut plus valorisant, à quoi devrait-on s'attendre? Ahmed Khoudi: Même du temps où cette infrastructure était un théâtre communal, elle n'avait jamais vraiment fonctionné en tant que tel. Elle a fonctionné comme cinéma à ma connaissance et comme salle de meetings. Le but assigné à ce théâtre régional est de contribuer à créer une vie culturelle au sein de la ville. Ça, c'est très important. Comment? D'abord, par son plan de production qui prévoit deux à quatre pièces par an dont certaines sont pour adultes et d'autres pour enfants. Le public jeune est très important pour nous parce qu'il constitue le réservoir du public de demain. Ce théâtre a pour objectif de se mettre au service de la population. En plus des représentations théâtrales, le public de Tizi Ouzou aura-t-il droit à d'autres activités? Ce théâtre sera mis au service de la population jeune et moins jeune. Les gens qui veulent voir une pièce viendront ici ainsi que les gens qui veulent se rencontrer, assister à une lecture de pièce car il y a des activités annexes qu'on va développer. On lancera des projections de pièces étrangères qu'on ne peut pas voir, etc. Le public s'est familiarisé avec le théâtre amateur mais ce n'est pas le cas du théâtre professionnel. Le Théâtre régional Kateb-Yacine a pour vocation principale de travailler dans le sens du théâtre professionnel, quel est votre commentaire là-dessus? Le théâtre professionnel produit des pièces selon des normes. Les gens qui exercent ce théâtre sont des gens qui vivent de cela. C'est leur principale activité et c'est leur métier. Ils font un travail de manière très rigoureuse avec beaucoup de recherche. Et après un travail de deux à trois mois se présentent devant le public avec une oeuvre que le spectateur doit apprécier. En général, on travaille sur des pièces de valeur qui peuvent être adaptées d'auteurs universels comme d'auteurs algériens. Le théâtre professionnel contribue à l'émergence d'auteurs algériens. Qu'en est-il du théâtre amateur? Concernant le théâtre amateur, c'est une pratique qui est courante, non seulement dans la région ni même en Algérie, mais dans le monde entier. C'est une pratique très importante car elle permet à l'homme qui pratique le théâtre de manière amateur de s'épanouir lui-même parce que le théâtre est un mode d'expression qui permet à la personne de développer sa personnalité et ses modes d'expression aussi bien verbaux que physiques. C'est également un moyen d'expression pour les problèmes que vit la société. Par exemple, un groupe de jeunes au lieu de s'exprimer par la violence, peut s'exprimer par la confection d'une pièce de théâtre. Ce qui est bien à Tizi Ouzou, et je viens de m'en rendre compte, c'est qu'il y a énormément de troupes amateurs. Justement quels seront les rapports que vous aurez avec toutes ces troupes de théâtre amateur en tant que théâtre régional? D'abord, nous allons essayer de les aider à améliorer la qualité de leur travail. Pour cela, nous pensons à différentes méthodes. Par exemple, faire intervenir un metteur en scène pour une durée d'une semaine pour finaliser leur travail. Aider sur le plan de la scénographie et des costumes. On va contribuer à diffuser leurs spectacles. Dans un premier temps, nous prévoyons un jour par semaine, les lundis, seront réservés aux présentations des troupes amateurs. Les mardis sont consacrés au théâtre pour enfants et les week-ends aux pièces pour adultes que nous produisons ou celles qui seront jouées par les troupes que nous inviterons des autres régions ou de l'étranger. Ya-t-il un programme qui prévoit l'invitation régulière de troupes des autres wilayas et de l'étranger? Notre ambition est d'améliorer et de diversifier les pièces de qualité que nous montrerons au public de Tizi Ouzou. Nous essayerons, parce que ce n'est pas évident, de faire venir des troupes de l'étranger. Il y a des pièces de théâtre universel qu'on voudrait bien montrer à notre public. Quand on parle d'une pièce de Shakespeare ou d'un classique de Molière ou encore d'un auteur russe ou de Pologne, qui sont des pays très avancés sur le plan théâtral, on aimerait bien que notre public les découvre. Mais aussi les montrer aux praticiens du théâtre parce que quand on voit ce qui se passe ailleurs, ça nous interpelle et ça nous pousse à faire mieux. Est-ce qu'il n' y a pas la possibilité de monter au niveau du Théâtre régional Kateb-Yacine des pièces de grands auteurs à l'instar de Shakespeare, Becket, Molière et d'autres? Personnellement, je suis un adepte du théâtre universel et du théâtre de grande qualité. Je n'exclus pas l'éventualité de monter des pièces d'auteurs universels dans une année ou deux. Il m'est arrivé de monter des pièces universelles. Par exemple? Par exemple, j'ai monté en arabe classique L'Ami du Roi de Shakespeare qui est passée en ouverture du premier Festival du théâtre professionnel à Alger. Il y a quelques années, je ne travaillais que sur les pièces d'auteurs professionnels. Quelles sont les difficultés à travailler sur les oeuvres des grands auteurs universels? Pour moi, il y a plus de facilité dans ce créneau parce que souvent quand on a affaire à de jeunes auteurs algériens qui ne sont pas confirmés, on n'a pas de vrais personnages. C'est très difficile de faire jouer. Par contre, quand on est dans une pièce universelle, on a affaire à des personnages vrais. Dès que le personnage commence à parler, on sait comment le faire évoluer. Toute la difficulté d'avoir un auteur dramatique est là. Vous savez que les auteurs dramatiques dignes de ce nom, en Algérie, sont très rares. Quand je dis ça, j'entends parler des auteurs dont les oeuvres sont montées à l'étranger. Quelles sont vos priorités actuellement au Théâtre régional Kateb-Yacine? La priorité, c'est d'effectuer un grand travail en direction du public parce qu'un théâtre sans public ne sert absolument à rien. La condition primordiale pour qu'il y ait théâtre, est qu'il y ait un acteur et un spectateur. S'il n'y a pas de spectateur, il n'y a pas de théâtre. Comment parer à ce problème? On fera en sorte à ce que le théâtre soit un lieu où les gens aiment aller. D'abord, il y a un grand travail d'information car c'est très important de toucher tout le monde par tous les moyens. Dans un premier temps, nous procédons par invitation. Mais je dois préciser que le problème du public n'est pas spécifique à l'Algérie, il existe dans le monde entier. Il est généré par les nouveaux moyens technologiques comme Internet et autres, bien que le théâtre soit un art vivant. Le Théâtre régional de Tizi Ouzou produira des pièces en langue amazighe, ce qui contribuera à la promotion de cette langue nationale... Déjà de par la situation géographique du Théâtre régional de Tizi Ouzou, on est appelé à travailler en tamazight et on va contribuer à l'émergence d'auteurs en tamazight, en créant des clubs de jeunes auteurs où ces derniers viendraient lire leurs textes devant une petite assistance. Ce qui leur permettra de se confronter à un public parce que le problème des auteurs existe non seulement en tamazight mais partout en Algérie. En même temps, nous allons travailler dans les langues algériennes. Quels sont vos projets immédiats? On va entamer la production d'une pièce en tamazight de Mohia qui est Amin yetsradjoun rebbi adaptée de En attendant Godot de Samuel Beckett. Elle va être présentée durant le mois de Ramadhan. Elle sera jouée au théâtre ici et elle sera en tournée à travers des villes du pays. Cette pièce ne demande pas beaucoup de moyens. Elle se joue avec quatre comédiens.