Comment définir l'acte d'écrire et de lire? Bien difficile la réponse tranchante, nette, celle appréciée par ceux qui décident à la place des autres. Pourtant, il en faudrait une, même provisoire... Le livre est complexe parce qu'il est l'oeuvre d'un être complexe. C'est-ce que la philosophie et l'encyclopédiste tentent de traduire. L'un ne s'oppose pas à l'autre. L'histoire, la culture, la langue, la religion, l'économie sont à la base de la civilisation. Tout autant d'ailleurs que la rationalité, l'autonomie de l'individu, les droits de l'homme. L'individu ne s'oppose pas à la collectivité dont il est d'ailleurs le produit et le levier et la collectivité ne doit pas, au nom du droit d'aînesse, ronger les droits de l'individu. Sur le plan formel, le livre se décline dans plusieurs genres et registres. Il y a la poésie, le théâtre, le roman, l'essai, la biographie. Tel un arbre généalogique plusieurs fois millénaire, chaque genre et chaque registre se divise et se déploie et, grâce à la transgression, l'un comme l'autre est fécondé sans cesse, assurant ainsi la pérennité de l'espèce. La circulation du littéraire au médiatique et du journalistique au littéraire, par exemple, témoigne de la force du langage de pouvoir exprimer à la fois le quotidien sans faire l'économie d'explorer le passé et le futur. Jamais autant qu'aujourd'hui la relation (de fascination, d'échanges ou de répulsion) entre l'homme de presse et l'homme de lettres n'a été aussi «charnelle». Très souvent même, l'un est l'autre, du côté de la fiction comme du côté du référentiel. La cohabitation puis le divorce n'ont en rien altéré les deux identités qui s'abreuvent, quoiqu'on dise, à la même source. La rupture du livre et du journal n'a jamais été radicale ou irréversible. Pour preuve, l'émotion ou l'intrigue ne sont pas le monopole de l'imaginaire littéraire et beaucoup de journalistes et d'écrivains qui se revendiquent et se présentent comme des journalistes-écrivains ou des écrivains-journalistes. Jamais autant qu'aujourd'hui, au moment même où des faux prophètes prédisent leur déclin, le livre et le journal, supports majeurs, durant plusieurs siècles, de l'écriture, n'ont connu de succès aussi fulgurants. Oui au moment même où on annonce leur fin, ces deux moyens de communication s'apprêtent à muter, pour élargir, jusqu'à l'infini, leur champ, en réinventant et en reconfigurant l'exercice de la création. Tout comme la presse électronique, le livre électronique est là, lançant son premier cri, une manière de poursuivre une transgression féconde qui a été à la base de l'évolution humaine. La cyber littérature ou la littérature numérique, malgré le rapport parfois conflictuel qu'elle entretient avec la littérature classique, ne cesse de gagner des lecteurs qui osent partir à sa rencontre et à qui elle réserve bien des surprises, enflammant leur imaginaire comme il sied à toute littérature et leur procurant toute une alchimie d'émotions, tant affectives qu'intellectuelles, sur des modes inattendus et vierges de toute rengaine. Bref en un mot, cette nouvelle littérature qui se situe à la fois dans la continuité et dans la rupture avec celle qui a toujours existé, offre à l'individu une voix et une vue, une identité et un message, qui poussent toujours aussi loin les frontières de la liberté de création et de lecture. Et, pour ne pas faire abstraction de l'actualité, cette même littérature qui essaime sur la toile, polyphonique, indomptable, a montré ses vertus curatives porteuses d'esprit d'ouverture, d'élan de la contradiction et de fédération d'énergies positives au bénéfice d'une citoyenneté mieux assumée. Il s'agit là sans doute de l'une des multiples facettes de la mondialisation de l'écriture et de la lecture mises au service de l'homme placé face à l'arbitraire. Et comme de coutume, sans rompre le vieil ordre du monde, ceux qui en sont les animateurs, les vecteurs et les décrypteurs, ce ne sont pas des analphabètes mais bien ceux qui savent lire, écrire et comprendre. Verbe, voix, voyage, signe, silence, regard, lieu, ombre, lumière et puis quoi encore? La pensée de la trace ou de l'empreinte (dans le désert?) est précisément celle de l'origine, signe gravé, écrit, vu ou entendu. Vaste question certes, complexe également, elle dépasse de loin la pensée frigorifiée du système, celle du délabrement formaté et réussit à approcher l'imprévisible, ce qui bouillonne dans les esprits, les imaginaires, ouvrant un sentier nouveau qui cultive la mémoire de la révolte et fait passer les hommes de l'humiliation à l'honneur et à la dignité.