«Chassez le naturel, il revient au galop!» Les vendeurs de l'informel, après une courte absence, sont de retour. Comme une nuée de criquets pèlerins s'abattant sur un champ de blé, ils ont pris d'assaut les principaux coins et artères de la capitale pour y écouler leurs marchandises. Animés par le seul désir de gagner de l'argent, faisant fi des règles en matière d'organisation et de pratiques commerciales, ils se sont donné le mot en squattant les rues et les trottoirs au grand dam des automobilistes et des passants. La rue de la Lyre et la place de Chartres sont devenues leur nouveau sanctuaire. Par centaines, ils ont pris possession des lieux, n'hésitant pas parfois, à agresser physiquement les propriétaires de magasins qui leur tiennent tête et refusent leur squat. En janvier dernier, une jeune vendeur a carrément sorti un couteau pour intimider le commerçant qui s'était mis en travers de son chemin. Sans l'intervention des autres commerçants qui lui ont prêté main forte, son agresseur serait certainement passé à l'acte. D'ailleurs, il ne se passe pas un jour sans que l'on ne fasse état d'incidents entre commerçants légaux et vendeurs de l'informel. Selon ce propriétaire d'une boutique de prêt-à-porter, spécialisée dans la vente de vêtement pour femmes, la rue de la Lyre a beaucoup changé depuis que le commerce de l'informel s'y est installé. «C'est connu, la rue de la Lyre est réputée pour ses boutiques et ses arcades. Que ce soit pour les fêtes de mariage, les cérémonies religieuses ou pour orner et habiller une maison, il n'y a pas mieux que ce lieu mythique de la Basse Casbah pour faire ses achats, mais le commerce de l'informel lui a asséné un rude coup et lui a fait perdre son statut d'artère commerciale prisée des Algérois et Algéroises», dit-il d'une voix pleine d'amertume. Accourus de partout, les vendeurs, après avoir squatté les arcades, ont comme une pieuvre, étendu leurs tentacules en s'installant tout le long de l'artère, ne laissant qu'un petit espace aux voitures et piétons pour circuler. Pris au piège, les automobilistes laissent éclater leur colère et tentent à l'aide de l'avertisseur sonore de se frayer un passage. Quant aux citoyens de passage, eux aussi, pris au piège, il doivent s'armer de patience pour atteindre l'un des deux bouts de la rue. D'un côté, les vendeurs avec leur marchandise étalée, parfois, à même le sol, de l'autre une foule très dense de clients et de voitures qui se disputent l'espace. Certains commerçants ne se sont pas gênés en jetant leur dévolu sur les rues alentour qu'ils ont complètement obstruées à l'aide d'étals de fortune réalisés à partir de barres en fer soudées grossièrement et posées maladroitement sur un sol inégal. Les plus débrouillards ont confectionné de grands parasols pour marquer leur territoire et se protéger du soleil. Ils sont là depuis les premières heures de la matinée et de leur voix stridente, ils tentent d'attirer les clients qui ont du mal à passer d'un étal à l'autre. Exaspéré par un jeune vendeur qui est venu s'installer juste en face de son magasin, un commerçant a dû utiliser la manière forte en s'armant d'un bâton pour faire déguerpir le malheureux intrus. «Vous avez vu! il est venu me narguer en tentant de s'installer juste en face de mon magasin. Si je n'avais pas utilisé la manière forte, il serait là encore», souligne-t-il. Résignés, beaucoup n'ont pas ce courage et cette force de s'opposer à cette vague déferlante qui a envahi la capitale et enlaidi ses principales places. Certes, les Algériens sont nombreux à reconnaître que le commerce de l'informel est avantageux et à la portée des petites bourses, mais a-t-on pensé aux commerçants légaux et au calvaire qu'ils endurent? Il est temps de se pencher sérieusement sur la question pour le bien de tout le monde.