Le chef de l'Etat a été pris à un «faux barrage» à l'entrée du...barrage de Fergoug... Dès les premières heures de la matinée, la coquette ville de Bouhnifia, station thermale, était prête à recevoir M.Bouteflika qui a inauguré une station de traitement et de renforcement de l'alimentation en eau potable des localités des wilayas de Mascara et de Sidi Bel Abbes. Bouhnifia est une cité qui, à l'instar des autres villes de la région, connaît un climat d'insécurité que ne manque pas de dénoncer une population qui se plaint d'une inquiétante montée de la délinquance. A Fergoug où se trouve le barrage du même nom, devant subir un désenvasement urgent, la problématique de l'eau, devenue inextricable dans le vaste territoire de la wilaya de Mascara, s'est clairement manifestée au Président. A l'entrée du barrage, même le cortège présidentiel fut littéralement pris en étau par les fellahs exacerbés par une «disette» chronique en eau d'irrigation. Ils tenaient à faire part au Président de leur angoisse, qui n'en finit pas de les ronger; celle de voir leurs plantations dépérir, jour après jour. «C'est de la poudre aux yeux, monsieur le Président, le barrage n'a été rempli que trois jours avant votre visite», «Rana maghbounine» (nous sommes miséreux). Tels ont été les cris de détresse de cette frange de paysans que les aléas d'une gestion post-indépendance ont relégués au stade de survie, de l'infracitoyenneté. Alors que les terres qu'ils cultivent tant bien que mal constituaient jadis le grenier de l'Europe, désormais, dans ce périmètre sous-irrigué qu'est la plaine de la Hobra, c'est une âpre lutte, au jour le jour, pour la survie, qui fait le lot des fellahs qui déboursent de leurs propres poches pour sauver ce qu'ils peuvent de leur patrimoine. «Et dire que le barrage de Fergoug desservait il n'y a pas longtemps, Oran, Sig et Mohamadia», regrettent-ils. C'est que ces paysans qui connaissent bien leur territoire savent que leur terre a permis, entre 1962 et 1963, l'exportation de 1,2 million de quintaux d'agrumes. Comme ils savent qu'hormis quelques rares embellis comme celle de 1997, les potentialités agricoles encore existantes sont squattées par des «fellahs taïwan» qu'ils accusent de détournement criminel de l'eau qui irrigue la Hobra; une eau dont le tracé d'écoulement va sur 40 km du barrage Ouizart à celui de Fer-goug. Ces fellahs bénéficiant de moins de 10% du Fnda (Fonds national du développement agricole) parlent de squatters, étrangers à la wilaya, mais qui pompent leur eau pour irriguer leurs champs de melon et de pastèque. Rien que pour l'année dernière, ces derniers auraient, sur 46 millions de mètres cubes, «volés» 27 millions. «Nos orangers sont à sec, nous n'en pouvons plus, nous serons contraints un jour d'abandonner nos terres», lancent-ils désespérés. Aujourd'hui, ces fellahs réclament un barrage à Segrara qui pourrait contenir jusqu'à 17 millions de mètres cubes; Oued El Maleh qui passe dans cette région, déverse chaque année à la mer plus de 150 millions de m3 ; or l'étude technique d'un tel projet existe depuis l'ère coloniale. Mohammadia, où le Président a inauguré une trémie, a pratiquement volé la vedette à Mascara en matière d'accueil: toute une population était au rendez-vous; citadine et rurale. Tout le long de l'artère centrale de cette ville aux allures modernes, carrefour entre Alger et Oran, l'on n'arrêtait pas de scander «Barigo wilaya!» Ce qui dénote le désir de cette localité, consciente de ses possibilités, de sortir de l'enclavement et de l'oubli imposés par une administration centrale, devenue par trop indolente à ses attentes. Dans cette ville où le faste de l'hospitalité était déployé à l'hôte du jour, le spectre du besoin lancinant était toujours là: «Nous demandons un barrage à Oued El Maleh!». «Nous voulons une bonne gestion des ressources hydriques», scandait la foule qui jouait au corps à corps avec un cordon sécuritaire dépassé par endroits. Hier, à Mohammadia, jeunes et moins jeunes ont vu en la visite du Président une occasion inespérée d'exorciser des maux qu'ils endurent en silence, des maux souvent entretenus par une administration locale autiste, hautaine: dossiers de moudjahid en souffrance, exiguïté et crise du logement, carence en infrastructures dont les routes, désoeuvrement et chimérique emploi de jeunes, telles sont les préoccupations qu'ils ont tenté de déballer pêle-mêle le temps d'une visite présidentielle éclair, qui, peut-être, changera leur sort.