Maître Sahraoui était très éduqué pour ne jamais verser dans la suffisance ou la prétention Le défunt descend d'aïeuls qui n'ont jamais baissé les bras depuis cette funeste expédition colonialiste de 1830. Nous étions le vingt-sixième jour de Ramadhan, ce jour où la communauté du juste milieu se prépare, comme chaque année, à célébrer «la nuit du destin», partout dans le monde chez les musulmans, les vrais, qui sentent davantage le poids de l'héritage que leur a légué notre belle religion, l'Islam. Ce jour-là, à Cherchell, deux grands événements se sont déroulés, l'un après l'autre, dans ce microcosme connu depuis la nuit des temps comme étant un havre de paix et de sérénité. Dans l'après-midi, juste au moment de l'appel à la prière d'El Açer, une triste nouvelle s'est répandue au sein de la population, annonçant le décès du patriarche de la ville antique, Maître Sahraoui-Tahar ou «Oulid Chater», le notaire, un digne descendant d'une lignée de valeureux combattants des Beni-Menaceur. Peu après cette triste nouvelle, perçue avec émotion, un malheur et pas des moindres s'est abattu sur la ville, au cercle des officiers de l'Académie militaire, pendant la rupture du jeûne, pour nous apprendre que le terrorisme qu'on dit «résiduel» est bien là, présent plus que jamais, démontrant toute sa dangerosité. Ainsi, Cherchell, dont le chagrin se percevait chez sa population, en faisant le deuil de son dernier centenaire, a été grandement affligée par cette profonde douleur causée par «les deux jeunes amants de l'apocalypse qui étaient passés par là»(1), laissant derrière eux une grande perte de jeunes officiers de l'ANP, ainsi que de jeunes civils. L'Homme humble A chacun son destin. Et Maître Mohamed Sahraoui-Tahar a vécu le sien jusqu'à ce 26 août de l'année 2011. N'est-ce pas que «le malheur est ce moyen que Dieu ait trouvé pour reprendre la générosité aux âmes bonnes, l'éclat aux belles et la pitié aux sensibles», comme disait le diplomate et dramaturge Jean Giraudoux? En effet, toutes ces bonnes actions se sont terminées pour «Oulid Chater» qui a tiré sa révérence en cette fin de Ramadhan lorsque, impuissant devant l'inéluctable sentence divine, il s'en est allé paisiblement, rejoindre son Seigneur, Clément et Miséricordieux. Il s'en est allé après une existence bien remplie, où il a occupé sa place dans la société avec un esprit du don de soi, de générosité, de magnanimité et d'humanisme. Inutile de m'appesantir sur ces valeurs ancestrales qui l'ont anobli, car il en possédait bien d'autres, assurément, lui qui vivait dans le perpétuel mouvement du savoir-faire et du bien-faire. En effet, il n'est pas opportun d'aller vers le dithyrambe pour affirmer qu'il avait constamment cet immense plaisir à se rendre utile, avec la modestie des «Grandes âmes», celle qui refuse les louanges et va dans le sens de cet éclat qu'il soit permis d'ajouter à la réussite de l'homme. Maître Sahraoui était très éduqué pour ne jamais verser dans la suffisance ou la prétention. Il respectait autrui et, par-delà ses sentiments, il se comportait comme un prosélyte éprouvé, renfermant en son for intérieur, indépendamment des qualités énoncées, deux vertus essentielles qui faisaient de lui cet homme transcendant par rapport à ses coreligionnaires. Il vivait, d'une part, dans la vérité et les bonnes manières et, d'autre part, il comprenait qu'il ne pouvait se construire ou s'affirmer que par le don généreux de lui-même. C'était l'homme humble qui menait cette vie. Et comment ne l'était-il pas, quand nous connaissons ses origines et dans quel milieu a-t-il baigné jusqu'à ce qu'il devienne l'une des figures emblématiques de notre cité et... son référent? Le défunt descend d'aïeuls qui n'ont jamais baissé les bras depuis cette funeste expédition colonialiste de 1830. Leur leader, Mohamed Ibn Aïssa El Berkani, Calife de l'Emir Abdelkader pour la région du Titteri, s'est vu relayé par son parent Malek El Berkani, qui a souvent mis les troupes coloniales en difficulté jusqu'à ce 13 juillet 1871 où il trouva la mort, en pleine bataille, à «Bled Bakoura», appelée également «le plat de Zurich», sous l'aqueduc romain, à quelques encablures de Cherchell.(2) Plus tard, son père, Si Larbi, s'est révélé un personnage actif et incontournable dans la région de Menaceur. Cela n'étonnait personne puisque, enfant déjà, son nom figurait parmi les bannis par l'autorité coloniale qui se déployait en notre pays, par le feu et le sang. Oui, ce qui allait devenir «Chater», n'avait que 6 ans en 1845, quand il a été déporté avec ses parents, les Berkani, au nombre de 94, à l'île Sainte Marguerite, en face de Cannes..., l'île qui aurait servi de prison au légendaire «Masque de fer»...(3). Chater Ainsi, l'appellation, «Oulid Chater», qui colle à celui qu'on célèbre par cet hommage posthume..., est loin d'être un sobriquet dans sa version caricaturale, comme ceux qu'on trouve à profusion à Cherchell et dont certaines personnes ont été affublées par le passé ou encore maintenant. L'appellation n'est pas du tout cocasse. Loin s'en faut, elle vient de feu son père, Si Larbi, qui fut gratifié de ce pseudonyme, «Chater», qui se commente noblement par les substantifs suivants: «doué, téméraire, capable ou encore intelligent», après avoir abattu une panthère le 9 août 1913, dans les monts du Zaccar, à Tizi Franco, entre Menaceur et Miliana..., cette panthère qui a causé de grands dégâts et terrorisé les habitants de la région.(4) Alors, comment le défunt notaire, Mohamed Sahraoui-Tahar, pur produit de ce combattant de longue date, ne serait-il pas à son image et à celle de ses proches? Comment ne serait-il pas cet Homme, qu'on écrit avec une majuscule, un Homme trempé dans ce matériau qui est composé de vérité historique, traduisant son authenticité et sa personnalité qui se confondent avec la liberté et ce tempérament d'indépendance qu'il utilisait dans ses nombreuses missions comme une influence souvent décisive? Comment, enfin, sa progéniture ne peut être fière, lorsqu'on sait qu'elle a bien réussi, tant dans la diplomatie que dans la magistrature, sans oublier l'autre produit de la famille, sa propre nièce, qui n'est autre que l'écrivain Assia Djebar, qui fait partie des «immortels» à l'Académie française. Maître Sahraoui ou «Oulid Chater», était tout cela, pendant longtemps, depuis qu'il a abordé sa vie de militant et de responsable, bien avant la glorieuse Révolution de Novembre. Déjà, dans les SMA (Scouts Musulmans Algériens), du temps des valeureux dirigeants, les Mohamed Bouras, Sadek El Foul, Hamdane Bouzar, Omar Lagha, Tayeb Illoul, Mahfoud Kheddache, Cheikh Mokhtar Skander, Redha Bestandji et autres, il était là, bien présent pour superviser la création des tout premiers groupes de scouts dans la région d'Alger. Plus tard, il deviendra l'un des leaders du mouvement et se verra, après l'indépendance, premier responsable de l'organisation au niveau national. En son temps, les SMA ont eu une activité on ne peut plus positive, voire productive dans tous ses compartiments. Il se donnait à fond, tant au niveau de la mobilisation et de la sensibilisation, qu'au niveau de la formation. D'ailleurs, son dada était l'éducation de la jeune génération, et il l'a si bien démontré, depuis très longtemps, quand il fallait se mobiliser aux côtés de quelques dignitaires de Cherchell pour créer cette toute première école libre, du temps de la colonisation, et permettre aux enfants d'étudier la langue arabe. N'était-il pas également avec ces bonnes volontés, dans la création du non moins mythique «Nadi», le Cercle de la fraternité, en même temps que dans la promotion du premier club de jeunes footballeurs en 1947, le MSC, le Mouloudia local? Quant à moi, j'ai eu ce plaisir, à partir de 1968, étant jeune et ayant tout à apprendre, de collaborer avec lui et de mieux le connaître dans des missions importantes qui nous ont été confiées par le FLN. Perspicace, débonnaire et sage à la fois, il ne pouvait laisser son monde indifférent après ses savantes interventions pour rétablir des vérités et, souvent, pour dissiper des zones d'ombre autour de questions délicates. Ces talents rares chez nos responsables, aujourd'hui, lui concédaient, hier, une grande part d'assurance dans la mission ô combien noble de premier magistrat de la commune de Cherchell que le destin a mis à l'épreuve, pour le bien des citoyens. En effet, il était plein d'assurance parce que connaissant parfaitement les charges qui étaient les siennes, et qui lui permettaient de diriger dignement l'agréable cité, qui fut l'antique capitale de la Maurétanie, du temps du roi Juba. Et je me remémore encore..., ces nombreuses missions, toutes aussi délicates, les unes et les autres où, ensemble, nous fondions nos espoirs dans leurs réussites après avoir donné le maximum de nous-mêmes. Si Mohamed était constamment vivace, allègre et, malgré son âge - il devançait mon père de quelques années - il n'osait jamais rechigner à un travail qu'il considérait comme une mission sacrée, fut-elle complexe ou malaisée. Je me souviens de cette laborieuse enquête que nous avions menée, tambour battant, après avoir été mandatés par la présidence de la République, suite à cet effroyable incendie de Miliana, dans les monts du Zaccar, la veille d'un certain 1er Novembre de l'année 1968. C'était affreux. Plus d'une vingtaine de jeunes scouts et autres de la JFLN sont morts en proie aux flammes, laissant la ville de Miliana plongée dans le deuil et la consternation. Il est mort... Les conclusions de l'enquête? Nous les avions données en temps opportun. Je passe rapidement sur ce chapitre, car mon propos est de dire combien Si Mohamed Sahraoui, le militant honnête, qui connaissait convenablement ses codes et ses lois, se montrait lucide, clairvoyant, et combien atténuait-il mon ardeur concernant ce dossier que nous avions géré avec toute la sagesse qui nous a été exigée par le FLN. J'ai beaucoup de souvenirs avec Si Mohamed Sahraoui. Cependant, l'espace qui m'est réservé, grâce à la générosité des responsables de ce média, ne me laisse guère l'occasion de m'étendre davantage. Il faudrait peut-être réfléchir à une autre publication, pourquoi pas un ouvrage, pour le présenter aux jeunes sous tous ses aspects, à travers une vie bien remplie, une vie faite de bonnes actions. Ainsi, il est mort le notaire..., le nonagénaire ou le centenaire - c'est selon - puisqu'il est mort à presque cent ans d'existence. Quelle belle mort pour celui qui fut, jusqu'à son dernier souffle, de cette frange d'Hommes attentifs et transparents, ceux qui vivent constamment dans la droiture! Alors, sans emphase d'aucune sorte, je voudrais Maître Sahraoui-Tahar te dire combien ton souvenir sera présent parmi nous et... infiniment vivant. Parce que, ce que tu étais pour nous, tu l'es et le seras toujours..., un exemple de loyauté, de confiance et d'honnêteté... Et, le meilleur hommage que nous pouvons te rendre aujourd'hui, c'est de nous souvenir, puisque la mémoire est, et restera, le lien commun qui nous rassemble tous, en cette circonstance où l'honneur échoit à un de tes disciples pour rédiger ce modeste témoignage posthume au nom de la population de Cherchell qui t'a beaucoup aimé. (1) Noureddine Khellassi, «La Tribune» du 28/08/2011 (2) In, «De Iol à Caesarea à... Cherchell» ou Les avatars historiques d'une cité millénaire, de Kamel Bouchama (3) Ibid (4) Ibid