Scènes de chaos et va-et-vient incessant des ambulances; sous le bruit des explosions, les victimes de la bataille féroce de Syrte sont emmenées dans un hôpital de campagne installé dans un bâtiment délabré tout près du front de l'Est libyen. Toutes les deux-trois minutes, une ambulance arrive, dans un crissement de pneus. Du personnel médical ouvre les portes et s'empare cette fois d'un drap rempli de parties de corps humains. L'hôpital est situé à quelques kilomètres des violents affrontements qui opposent dans Syrte les combattants du Conseil national de transition (CNT), les ex-rebelles ayant chassé Mouammar Kadhafi au pouvoir, et les derniers partisans du leader déchu. La zone résonne du bruit des mitrailleuses, des déflagrations et des sirènes des ambulances, qui arrivent à tombeau ouvert pour ramener les blessés et les morts de la ligne de front. « Allah Akbar! » (Dieu est le plus grand!), crient les combattants du CNT, Kalachnikov à la main, en s'activant autour d'une ambulance. En milieu d'après-midi, au moins dix corps ont été transportés et 150 blessés, selon l'administrateur de l'hôpital, Ahmed Abou Oud. Tous viennent de la partie ouest de Syrte, aucun bilan n'étant disponible pour l'heure pour l'ensemble de la ville. Les blessés, touchés par des éclats d'obus et des balles, sont conduits à l'intérieur d'une salle réservée aux urgences, où les médecins, habillés en blouses bleues, passent d'un patient à un autre pour les soigner. Selon Ahmed Abou Oud, quatre ambulances ont été détruites par les forces pro-Kadhafi et deux ambulanciers blessés. Un filet de sang est visible sur les marches conduisant à la salle de soins. Dans un coin, un homme allume calmement des bâtons d'encens. A l'extérieur, un jeune homme en jeans et T-shirt pleure. Son camarade d'armes, un jeune homme de 20 ans qui était son voisin dans la ville de Misrata, fait partie des corps se trouvant dans la morgue improvisée. Il a été tué lorsqu'une grenade a été lancée contre son pick-up, alors que son unité, qui cherchait à entrer dans Syrte, se trouvait dans la périphérie sud de la ville. « Nous essayons de faire en sorte qu'il soit ramené à sa famille rapidement. Ensuite, nous retournerons au combat », confie Hakim Majouq. « Il n'est pas le premier ami que j'ai perdu. Mais les hommes qui meurent iront au paradis », se console-t-il. Un pansement ensanglanté sur l'œil, un autre combattant gémit en sortant de la morgue, où quatre corps sont enroulés dans des couvertures grises. Il se met à courir comme un fou à travers l'hôpital, criant et secouant ses amis qui tentent de le consoler. Un peu plus tôt, une camionnette avait quitté l'hôpital, emmenant quatre cadavres, également enroulés dans des couvertures. Avec sur chaque poitrine, un papier avec le nom du combattant décédé.