Le directeur de L'Expression a produit les preuves de sa bonne foi, mettant à nu le complot du pouvoir visant à bâillonner la presse libre. A hmed Fattani, directeur du journal L'Expression, a animé hier une conférence de presse au siège de son journal en présence d'un large parterre de journalistes à propos de la suspension «arbitraire et politique» dont sont victimes six parmi les plus importants titres de la presse nationale. Il a, à cette occasion, tenu à mettre définitivement les points sur les i en expliquant clairement les tenants et aboutissants de cette grossière affaire. «J'exerce ce métier depuis 35 ans, commence-t-il sentencieusement, or en ma qualité de doyen de la presse nationale, j'ai compris que celui qui n'a pas de conscience ferait mieux de se tourner tout de suite vers une autre activité.» L'entrée en matière vise, en premier lieu, à planter le décor et à préciser, pour ceux qui en auraient encore des doutes, que dans cette affaire, «les méchants», c'est pas nous. Et de rappeler que la critique saine est une preuve de bonne santé morale d'une société, indiquant au passage qu'un journaliste qui n'a pas d'ennemis n'est simplement pas digne de cette fonction. Or, explique-t-il, «le pouvoir a pris l'habitude de réagir de manière brutale et fallacieuse aux critiques constructives et objectives dont il est l'objet. Moi-même, j'ai été deux fois victime de suspensions sous Belaïd Abdesselam quand j'étais à la tête de Liberté. Plus tard, sous Zeroual et Betchine, le même procédé avait été utilisé contre plusieurs journaux pour les faire taire. Mais la vérité a toujours fini par triompher.» Explication. L'Expression est une entreprise. Au même titre que l'imprimerie dans laquelle il est tiré. Un contrat clair lie les deux entreprises. Nul n'a le droit de le dénoncer sans négociations et accords préalables. Les imprimeries n'ont pourtant pas hésité à le faire sur injonctions politiques. Nous nous y sommes quand même pliés dans le but de prouver au monde entier que la suspension est politique et non pas commerciale, comme certains essayent de le faire accroire. Liberté et El-Khabar ont épongé l'intégralité de leurs dettes. On refuse quand même de les tirer. Brandissant les chiffres publiés hier par El-Moudjahid, le directeur de L'Expression les démentira formellement, à grands renforts de documents appartenant aux sociétés d'impression elles-mêmes. «L'Expression a préparé des chèques d'une valeur de 7,5 milliards de centimes. Il a épongé l'intégralité de ses dettes au Centre, à l'Est et à l'Ouest. Nous avons apuré nos comptes. Mais on refuse quand même de nous tirer sous le fallacieux prétexte qu'il faut aussi payer la Simpral, imprimerie d'El Moudjahid.» Or, explique-t-il encore, «nous refusons catégoriquement de nous plier à ce diktat. Le même groupe, le GPC, nous doit des recettes publicitaires de 5 milliards de centimes. Il faut qu'il les défalque de la somme que nous devons et nous payerons immédiatement la différence». Ahmed Fattani, qui a évoqué les questions de moralité et de conscience, indique ne pas «vouloir laisser de dettes dernière lui, mais ne pas se faire arnaquer non plus». Avec toutes ces preuves, «je peux dire que nous sommes victimes d'une suspension politique.» Ahmed Fattani, dont l'expérience n'est plus à démontrer dans ce genre de batailles, estime que «les journaux suspendus payent ou ne payent pas, ils ne seront quand même pas tirés». Mieux, le harcèlement a été poussé si loin qu'une brigade de l'inspection du travail a été dépêchée hier dans notre journal pour voir si l'ensemble des lois sociales avaient été scrupuleusement respectées. Le même procédé avait été utilisé la veille avec nos confrères du Soir d'Algérie. Le caractère politique de cette affaire s'explique comme suit: «A 8 mois de la présidentielle, il fallait museler les journaux les plus libres, en train de dénoncer de nombreux agissements condamnables du pouvoir. Cette mesure arbitraire sert aussi de mise en garde à des journaux autrement plus endettés qui n'ont guère été inquiétés comme chacun a pu le constater.» En clair, «le pouvoir veut prendre en otage toute la presse nationale». Mais, la commission d'enquête parlementaire mise en place par le FLN, qui a bien progressé dans ses travaux, devrait mettre à nu ce complot. Ahmed Fattani a, par la suite, mis en avant les nombreuses marques de sympathie exprimées à notre journal, et à la presse suspendue, par des personnages importants comme Sidi Saïd, Benflis, Abrika. Il semble que si aucune solution n'est trouvée avant la rentrée sociale, le risque de déclenchement d'une grève nationale illimitée n'est pas exclu. Tout le pays serait paralysé puisque les syndicats, le patronat, les partis politiques et les organisations y prendraient part. Les questions ont notamment porté sur le fait que L'Expression, qui soutenait le Président Bouteflika, ait changé de ton depuis quelques mois. Ahmed Fattani, qui met en avant son intégrité intellectuelle et son engagement moral vis-à-vis des lecteurs, précise avoir «sincèrement soutenu le Président avant de se rendre compte qu'aucun des grands chantiers de sa réforme n'a été appliqué, ce qu'il fallait dire». La rumeur et la calomnie étant de la partie, une question a été posée sur un supposé hôtel que détiendrait Fattani en Tunisie. La réponse fut un éclat de rire, suivi des explications on ne peut plus claires: «Le président Benali est un ami. Je ne m'en cache pas. J'y étais réfugié avant de rentrer lorsque le Président Bouteflika a fait appel à moi.» Fattani, qui ne compte pas baisser les bras, projette de saisir la justice pour le préjudice financier causé à la société, estimé entre 70 et 100 millions par jour.