Pour la première fois, des médecins ont fait état de décès par balles réelles au cours de ces violences dans lesquelles trois personnes ont péri dans la matinée d'hier, portant le bilan des morts à au moins 33 depuis samedi. Dans le même temps, la contestation hostile aux militaires qui dirigent le pays depuis la chute du président Hosni Moubarak le 11 février continuait de secouer de nombreuses villes à travers le pays. Des affrontements étaient notamment signalés à Alexandrie et Port-Saïd (nord), Suez, Qena (centre), Assiout et Aswane (sud) ainsi que dans la province de Daqahliya, dans le delta du Nil. Le Haut Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Mme Navi Pillay, a réclamé une enquête «rapide, impartiale et indépendante» sur les violences, tandis que les militants égyptiens accusent les policiers de viser les manifestants au visage, plusieurs d'entre eux ayant perdu l'usage d'un oeil. Sous la pression des manifestants, le maréchal Hussein Tantaoui, chef d'Etat de fait, s'est engagé mardi soir à organiser une présidentielle avant fin juin 2012, se disant prêt à remettre le pouvoir immédiatement si un éventuel référendum en décidait ainsi. Mais les protestataires, déterminés à rester sur Tahrir par milliers, disent ne pas croire un mot des paroles du maréchal, ministre de la Défense sous l'ancien régime et qu'ils assimilent désormais à son ancien mentor Hosni Moubarak. «Il est désormais clair que celui qui écrivait les discours du président déchu Moubarak est le même que celui qui écrit les discours de monsieur le maréchal», ironise le «mouvement des Jeunes du 6 avril» dans un communiqué. «Tantaoui, c'est Moubarak copié/collé. C'est Moubarak en tenue militaire», assure un manifestant, Ahmed Mamdouh. Lors du soulèvement historique qui a renversé l'ex-président, la foule avait occupé en permanence l'emblématique place Tahrir, dans le centre de la capitale, réclamant inlassablement le départ de celui qui a régné pendant trente ans sur l'Egypte. Chaque discours de M.Moubarak attisait davantage la colère des manifestants jusqu'à ce qu'il se soit vu obligé de quitter le pouvoir le 11 février. La détermination de la rue, qui a déjà provoqué la démission du gouvernement mis en place par le pouvoir militaire, laisse présager un bras de fer de longue durée, alors que les premières législatives depuis la chute de M.Moubarak doivent débuter dans cinq jours, le 28 novembre. «Une deuxième révolution», titrait hier le quotidien gouvernemental Al Akhbar, tandis qu'Al Ahram notait: «Plus la période de transition se prolonge, plus la crise de confiance s'approfondit entre les deux parties.» «Le conseil (militaire) est le problème et pas la solution», avançait dans un éditorial le quotidien indépendant Al Masri al Yom. Ce contexte de crise fait craindre que les premières législatives depuis la chute de Hosni Moubarak ne soient émaillées de violences. Le maréchal Tantaoui a assuré qu'elles débuteraient à la date prévue, le 28 novembre. Le chef de l'armée a aussi accepté la démission du gouvernement du Premier ministre Essam Charaf, nommé par le Conseil militaire en mars pour gérer les affaires courantes, sans toutefois annoncer le nom du prochain Premier ministre. Ces annonces ont été faites à l'issue d'une réunion du Conseil suprême des forces armées (Csfa) avec plusieurs mouvements politiques, dont les influents Frères musulmans. Le Csfa a évoqué durant cette réunion la possibilité de nommer l'ancien chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique (Aiea), Mohamed El Baradei, comme nouveau Premier ministre, a affirmé une source militaire, mais cette hypothèse n'a pas été confirmée. M.El Baradei a quant à lui dénoncé un «massacre» sur la place Tahrir, en accusant les forces de sécurité d'utiliser «du gaz lacrymogène contenant des agents innervants». Les Frères musulmans, qui représentent la force politique la mieux organisée du pays, ont boycotté la manifestation de Tahrir mardi et appelé au calme, soucieux de voir le scrutin, pour lequel ils s'estiment en position de force, débuter comme prévu lundi. Les Etats-Unis ont eux condamné «l'usage excessif de la force» par la police et demandé au gouvernement de protéger le droit de manifester, tandis que trois Américains ont été arrêtés «en relation avec les manifestations», selon le département d'Etat.