Face au peu d'enthousiasme montré par les personnalités égyptiennes pour prendre en charge le gouvernement après la démission, lundi, du cabinet d'Essam Charaf, l'armée s'est vu contrainte de rappeler un ancien Premier ministre ayant servi sous le président déchu, Hosni Moubarak, Kamal al-Ganzouri, qui a été nommé à la tête du gouvernement. En effet, M.al-Ganzouri, ancien chef du gouvernement égyptien, a été désigné comme nouveau Premier ministre par l'armée au pouvoir, a indiqué hier la télévision d'Etat. M. Ganzouri, 78 ans, a été de 1996 à 1999, Premier ministre sous Hosni Moubarak, chassé le 11 février par une révolte populaire. Il remplace Essam Charaf, qui a démissionné avec le reste du gouvernement en raison de la grave crise que traverse l'Egypte actuellement. Le nouveau Premier ministre, nommé officiellement hier par le Conseil suprême des Forces armés (CSFA, au pouvoir en Egypte), a affirmé que le nouveau gouvernement ne serait pas constitué avant le début lundi des élections législatives. Il a, par ailleurs affirmé, au cours d'une conférence de presse, que le maréchal Hussein Tantaoui, chef du Conseil suprême des Forces armées, ne voulait pas rester au pouvoir, une déclaration déjà faite à plusieurs reprises par des hauts gradés. Cependant, la nomination de cet économiste de 78 ans n'a pas convaincu les manifestants à Tahrir, où ce septuagénaire faisait jeudi soir l'objet de quolibets et de moqueries. «Je pense qu'il était populaire à son époque. Mais il n'est plus de notre temps», raillait Abdallah Ahmed, un étudiant de 22 ans. Après les violences meurtrières des derniers jours, les affrontements ont cessé jeudi sur la place Tahrir grâce à un accord passé entre manifestants et forces de l'ordre pour éviter les violences. L'armée a écarté dans la matinée l'idée de céder aux revendications des manifestants d'un départ immédiat du pouvoir, tout en s'excusant pour les morts, dont le bilan est monté à 41 décès dont 36 au Caire, selon le ministère de la Santé. Cette crise, la plus grave pour les militaires depuis qu'il ont pris la direction du pays après la démission de M.Moubarak le 11 février, s'est poursuivie ailleurs dans le pays, avec de violents heurts à Alexandrie (nord), où deux personnes ont péri depuis samedi, et dans la région du Delta. Cette violence semblait avoir créé un malaise parmi les militants eux-mêmes, beaucoup estimant que le mouvement de protestation devrait se concentrer sur la place Tahrir et ne plus provoquer la police près du ministère de l'Intérieur. Des appels étaient aussi lancés pour continuer de manifester (hier) pour obtenir le départ du pouvoir militaire et de son chef, le maréchal Hussein Tantaoui, accusés de perpétuer de fait le régime Moubarak. Des hauts responsables militaires égyptiens ont récusé jeudi les demandes des manifestants de voir l'armée abandonner immédiatement le pouvoir, assurant que cela reviendrait à «trahir le peuple». «Le peuple nous a confié une mission et si nous y renonçons maintenant cela voudrait dire que nous trahissons le peuple», a déclaré le général Moukhtar el-Moullah. «Si nous quittons le pouvoir dans les circonstances actuelles, cela voudrait dire que le seul pilier de l'Etat qui reste s'effondre», a estimé un autre membre du CSFA, le général Mamdouh Chahine. Toutefois, le grand imam d'Al-Azhar, principale institution musulmane d'Egypte, soutient les dizaines de milliers de manifestants à Tahrir pour réclamer la chute du conseil militaire au pouvoir, a affirmé son représentant présent sur cette place du centre du Caire. «Le grand imam vous soutient et prie pour votre victoire», a déclaré Hassan Chafie dans une allocution hier devant les manifestants place Tahrir L'armée a annoncé mardi une présidentielle avant la fin juin 2012, par laquelle elle doit remettre le pouvoir exécutif à un chef d'Etat élu. Les militaires ont également confirmé que les élections législatives se tiendraient bien à partir de lundi, malgré les craintes qu'elles ne soient affectées par la crise actuelle. L'agence de notation financière Standard & Poor's a abaissé d'un cran jeudi la note souveraine de l'Egypte, qui passe de «BB-«à «B+», et placé le pays sous perspective négative en raison du regain de cette crise. Des affrontements ont été signalés au cours des derniers jours, notamment dans les villes de Port-Saïd (nord), Suez, Qena (centre), Assiout, Assouan (sud) et à Marsa Matrouh (ouest). Une éditorialiste américano-égyptienne, Mona al-Tahawy, a indiqué sur Twitter avoir été arrêtée dans la nuit de mercredi à jeudi lors des manifestations, puis relâchée après avoir été frappée et sexuellement agressée par des policiers anti-émeute. Une journaliste de la chaîne France 3, Caroline Sinz, a également déclaré avoir été battue et agressée sexuellement par des jeunes et des hommes en civil alors qu'elle tournait un reportage aux abords de Tahrir. La justice égyptienne a par ailleurs, décidé la libération de trois étudiants américains accusés d'avoir participé aux violences, tout en précisant que l'enquête sur leur cas se poursuivait. Sans toutefois confirmer leur remise en liberté, le département d'Etat américain s'est félicité du «traitement rapide de ce cas par les autorités égyptiennes», tandis que la mère de l'un d'eux s'est dite folle de joie à la perspective de son retour.