Les forces politiques égyptiennes, dans leurs variantes, et le pouvoir militaire sont toujours engagés dans un bras-de-fer tenace où l'avenir de ce pays, au poids avéré dans le monde arabe, se joue. Le pouvoir du futur gouvernement, la prééminence de l'instance militaire, l'avenir politique des contestataires de la place Al Tahrir sont autant de sujets de discorde secouant l'Egypte depuis la chute de Moubarak. Ainsi, malgré une crise dantesque qui ne trouve toujours pas d'issue, le scrutin législatif a bien commencé. Les premières législatives de l'après-Moubarak qui dureront quatre mois, sont parties pour se dérouler dans une atmosphère de bras- de- fer. Le Conseil suprême des forces armées (CSFA), instance militaire qui régit officiellement le pays depuis la chute du raïs, les contestataires de la place Al Tahrir dans leur diversité, et l'influent mouvement des Frères musulmans sont les éléments de l'équation égyptienne aux multiples inconnues. Mohamed El Baradai, qui se prévaut du soutien des manifestants de la place Tahrir, revient au devant de la scène. Il s'est dit prêt à renoncer à ses ambitions présidentielles pour diriger un gouvernement de salut national. A condition que «le gouvernement soit doté de toutes les prérogatives pour gérer la période de transition, rétablir la sécurité, relancer l'économie et réaliser les objectifs de la révolution égyptienne». La proposition du prix Nobel de la paix est considérée par certains observateurs comme une tentative de venir au secours d'un régime qui a perdu, certes, sa tête mais qui est toujours là. La phase délicate de l'après -Moubarak, celle de la construction des fondements d'une nouvelle Egypte s'avère extrêmement complexe. Nommé par l'armée juste après la chute en février de Moubarak, le gouvernement s'est jusqu'à présent cantonné à la gestion des affaires courantes. Trop peu et trop lent pour des attentes populaires obnubilées par le vent révolutionnaire. Sous l'effet de la pression, le Premier ministre Essam Charaf démissionne. Kamal Al Ganzouri est nommé nouveau Premier ministre dans un contexte explosif. Le climat mêlant rapports de force, tractations en coulisses, ballons d'essai et pression de la rue ajoute à la confusion. L'armée dit continuer d'appuyer l'homme qu'elle a choisi pour former le nouveau gouvernement. Le chef du CSFA, le maréchal Hussein Tantaoui, a même demandé à El Baradai et à Amr Moussa, autre figure de la classe politique, de soutenir Al Ganzouri dans sa mission difficile. Mais Ganzouri, ancien chef de gouvernement à la fin des années 90 sous Hosni Moubarak, est promptement rejeté et avec vigueur par les milliers de manifestants qui occupent depuis plus d'une semaine la place Al Tahrir au Caire. Tout ce qui a un lien avec l'ancien système est frappé du sceau de la suspicion. Dans cet embrouillamini, les Frères musulmans sont entrés dans la bataille en se projetant dans un contexte post -électoral qu'ils jugent favorable à leur mouvement, politiquement le mieux structuré du pays. Les «frères» n'entendent nullement se faire devancer, installés derrière la vitrine politique du parti Liberté et Justice, pilier de la coalition Alliance démocratique. Cette dernière espère remporter la moitié du parlement en présentant près de 500 candidats pour les deux chambres en menant un intense travail de terrain, notamment dans les quartiers populaires. Il y a aussi le Bloc égyptien qui rassemble des partis laïcs et libéraux et le Bloc islamiste des formations salafistes. Les forces de gauche et les jeunes de la révolution réunis sous la bannière «la Révolution continue» ont peu de chance de faire des scores importants lors de ce scrutin déterminant pour la suite. Pour le politologue égyptien Hassan Nafaa, la posture ambivalente des Frères musulmans signifie qu'il n'y aurait pas, en Egypte, de gouvernement doté de véritables pouvoirs avant la fin des élections prévues jusqu'à la mi-janvier pour l'Assemblée du peuple (chambre des députés) et mars pour la Choura (Sénat consultatif). Une telle attente «ne serait pas acceptable pour les jeunes à Tahrir. La crise se poursuivrait donc» dira Hassan Nafaa. L'armée égyptienne, sous une pression inédite depuis la période des « officiers libres » a promis de rendre le pouvoir à une autorité civile après une élection présidentielle qui doit se tenir avant la fin juin 2012. Cependant, pour le chercheur égyptien Moazz el-Zogaimi, le scrutin électoral pourrait compliquer davantage une situation déjà inextricable. «Les élections ne vont pas simplifier les choses. Au contraire, désormais entre les manifestants et le CSFA, on va avoir un troisième acteur : le parlement élu, qui va pouvoir dire qu'il est plus légitime que les autres». M. B.