Même si l'affaire semble s'acheminer vers son dénouement, des enseignements n'en sont pas moins indispensables afin que nous ne vivions plus jamais ça. Dans quelques jours à peine, nous bouclerons deux semaines de suspension, que nous persistons à qualifier de «politique», tant les preuves et les arguments abondant dans ce sens ne manquent pas. Beaucoup d'encre et de salive a coulé sur cette affaire. Notre mésaventure n'a pas fait que des mécontents. Nous nous en... félicitons. Puisque cela prouve que notre ligne dérangeait pas mal de clans et d'ordres établis. De même que celles des autres journaux suspendus, à qui l'on envie, la contestant dans la foulée, leur prépondérance sur le paysage médiatique. Pour un peu, il eut pu être question d'en vouloir au peuple pour ses choix, peu «judicieux», ayant «porté préjudice à la nation», inhibant même «tout effort de redressement national». Le fait même que l'on ait essuyé des attaques en ce sens, n'est-ce pas la preuve, administrée par les «censeurs» eux-mêmes, que cette suspension est on ne peut plus politique? Ce n'est pas tout. L'on se rend compte qu'il est encore des clans, foulant aux pieds une décennie de bravoure et de don de soi, qui dénient au peuple sa «majorité politique», le considérant toujours comme un enfant, incapable de reconnaître, encore moins de veiller sur ses intérêts. Il est heureux, toutefois, de constater que les données ont sensiblement changé depuis la naissance, douloureuse, de la presse privée. Citoyens, partis politiques, syndicats, patronats, organisations, refusent désormais de contempler sans agir, sans réagir, les assassinats programmés de certains journaux de la presse privée. Chacun, en son for intérieur, sait que la disparition d'un média est celle d'une parcelle de liberté et de démocratie, chèrement payée grâce aux sacrifices d'Octobre et de la lutte contre l'intolérance des terroristes islamistes. Le pouvoir, qui a pris conscience de sa «bourde» après coup, a été forcé de lâcher du lest dès le lendemain de sa décision «liberticide». Ainsi, El-Khabar, et tout de suite après Liberté, ont-ils pu renouer avec leurs lecteurs moins d'une semaine après l'ultimatum, intervenu, rappelons-le, en date du 17 août passé. Le pouvoir avait pourtant tenté de refuser de les tirer même après apurement de l'ensemble des dettes, y compris celles qui ne sont même pas prévues dans les contrats «commerciaux» les liant à leurs imprimeurs. Le prélude à une détente dans ce conflit qui dure depuis une dizaine de jours a été observé depuis que trois journaux ont été «relâchés» alors que les trois autres ont amorcé la dernière ligne droite dans le but de s'acquitter, à leur tour, de leurs redevances, y compris celles qui ne sont pas prévues dans les contrats cités plus haut dans le texte. Le cap, désormais, était franchi. Les autres journaux encore suspendus pouvaient suivre le même cheminement, sinueux, dur, mais sûr, pour éviter la censure illégale dont ils ont été frappés de la part de décideurs ne pouvant désormais pas s'accommoder d'une presse au ton trop libre et à l'indépendance indéboulonnable, parce que payée au prix de beaucoup de sang, de larmes et de sueur. Très vite, du reste, le pouvoir a été amené à réviser sa stratégie pour maintenir la pression sur les titres «incriminés». Les envois de «missions d'inspection» de la part des inspecteurs du travail et de la Cnas ont été le lot quotidien des six journaux suspendus. Très mal renseignés sur le fonctionnement interne de ces publications, peut-être même intoxiqués sur de supposés abus dans le respect de la législation du travail, les tenants du complot contre ces titres de presse ont dû enrager de voir que tous les documents étaient en règle. Ne restait plus qu'à actionner la machine judiciaire dont l'indépendance, comme le soulignait le Président Bouteflika lui-même, laisse quelque peu à désirer. Notre confrère, Mohamed Benchicou, directeur du Matin, vient d'être placé sous contrôle judiciaire alors que les dirigeants de Liberté ont, eux, été destinataires de nombreuses convocations de la part de la police judiciaire. La pression sur la presse qui ne marche pas au pas se poursuit, immuable. Elle a changé de visage, c'est tout.