Les partis islamistes étaient vendredi en passe d'être officiellement proclamés vainqueurs de la première phase des élections en Egypte, s'efforçant de dissiper les inquiétudes suscitées par la perspective de leur arrivée au pouvoir. Dans le même temps, plusieurs milliers de manifestants se sont rassemblés au Caire, certains pour réclamer la chute du pouvoir militaire sur l'emblématique place Tahrir, d'autres en soutien aux généraux aux commandes du pays depuis la chute de Hosni Moubarak en février. A Tahrir, la foule scandait «L'Egypte veut la démocratie» et «Dégage!», à l'adresse du Conseil militaire et de son chef, le maréchal Hussein Tantaoui. La mobilisation dans la rue, importante avant les élections, s'était tarie durant le scrutin de lundi et mardi, marqué par une participation massive inédite. L'annonce officielle des résultats, reportée jeudi, a finalement été fixée à 18H00 GMT vendredi. Le président de la Haute commission électorale, Abdel Moez Ibrahim, avait affirmé que ce retard était dû au décompte des voix qui s'est poursuivi jeudi «en raison du grand nombre d'électeurs ayant participé». Les résultats devraient confirmer les tendances déjà révélées par la presse, créditant le parti des Frères musulmans «Liberté et Justice» (PLJ) de 40%, et le parti salafiste Al-Nour (fondamentaliste) de 20% des votes. «Il ne faut pas oublier que l'Alliance démocratique (menée par le PLJ) n'est pas composée que d'islamistes, donc quand nous disons que nos listes sont en tête nous ne parlons pas uniquement des Frères musulmans», a toutefois nuancé Salah Abdel Raouf, porte-parole de la confrérie pour la région Est du Caire. «Si nous formons une coalition au Parlement, nous proposerons à Al-Nour de nous rejoindre. Il est le bienvenu, mais seulement au sein d'une alliance plus large qui représentera les intérêts nationaux», a-t-il aussi précisé. Ces scores préliminaires ont provoqué l'inquiétude des milieux laïques et suscité les craintes d'une partie de la communauté chrétienne copte. «Si les salafistes gagnent, nous n'aurons plus de vie », a affirmé Imed Andraous, un ingénieur informatique copte qui a déjà prévu d'envoyer ses enfants à l'étranger pour finir leurs études. «Mais moi je resterai», a-t-il dit. Des responsables des Frères musulmans et des salafistes ont toutefois cherché à apaiser les craintes. «Les vainqueurs, individus et listes, doivent réaliser qu'un parti ou quelques partis seuls ne pourront pas redresser le pays et qu'il n'y a pas d'alternative à un consensus national basé sur les intérêts de l'Egypte», a déclaré le numéro deux des Frères musulmans, Khairat al-Chater. Le porte-parole d'Al-Nour, Mohamed Nour, a quant à lui lancé un message d'apaisement aux 8 millions de Coptes, qui se disent discriminés dans la société égyptienne majoritairement musulmane. «Toucher un cheveu de la tête d'un Copte est contraire à notre programme», a-t-il déclaré. Mais un autre salafiste, Hazem Abou Ismaïl, candidat déclaré à la future présidentielle sous l'étiquette d' «indépendant», a estimé dans une interview télévisée que le gouvernement devrait «créer un climat pour faciliter» le port du voile. Les premières élections tenues dans la foulée du Printemps arabe ont vu émerger des partis islamistes en Tunisie, au Maroc et maintenant en Egypte, au détriment de formations laïques. Mais au-delà de la dimension religieuse, des analystes estiment que l'économie sera le premier défi des islamistes une fois au pouvoir. «Ils ont gagné en partie parce qu'ils se sont tenus tout le temps du côté des pauvres» grâce à leurs puissants réseaux de charité «et là, l'économie est devenue l'une de leurs priorités», explique Abdel Bari Atwane, rédacteur en chef du quotidien Al Qods el Arabi, basé à Londres. Pour faire face à la fonte des réserves en devises de l'Egypte, l'armée, gros propriétaire terrien et investisseur majeur dans le pays, a accordé un prêt d'un milliard de dollars à la Banque centrale, a affirmé un responsable militaire vendredi. Après le soulèvement populaire du début d'année, les réserves en devises avaient déjà chuté de 36 mds à 22 mds de dollars, menaçant la capacité du pays à importer. Un tiers seulement des 27 gouvernorats égyptiens ont voté pour le moment, notamment ceux du Caire et d'Alexandrie, les deux plus grandes villes.