L'Algérie et le monde imazighen célèbrent aujourd'hui le Nouvel an amazigh. Il fallait y venir, un jour ou l'autre. Le plus tôt aurait été le mieux. Certes! Mais c'est une bonne chose que le pays se réapproprie, enfin, une partie de sa mémoire et de son histoire ancienne. Nous entrons donc en 2962 de l'ère amazighe. Près de trois millénaires! En fait, toutes les cultures des peuples de la terre ont une datation - calendrier - qui dit leur pérennité parmi les hommes. Des calendriers humains sont très célèbres - tel le calendrier maya dont le cycle de 26.000 ans s'achève justement le 21 décembre prochain - d'autres le sont moins. Les calendriers les plus récents sont ceux des musulmans (hégirien, 1433 ans) et des chrétiens (dit calendrier grégorien, 2012 ans). D'une manière générale ces, «calendars» déterminent le début d'une ère - période de temps qui s'étend depuis un événement historique ou fondateur - qui est l'an 1 par lequel va commencer une chronologie. Cela nous ramène donc à notre propre chronologie de Yennayer, qui connote le début de l'ère amazighe et sa permanence dans le temps. Quel événement marquant ou fondateur a été à l'origine de la datation de l'ère amazighe? Les avis sont partagés en vérité - du fait de l'absence d'études qui puissent déterminer avec exactitude la période de son avènement - quant à l'événement qui présida à la chronologie amazighe. On s'accorde toutefois à dire que cet épisode pourrait correspondre à la création -1000 ans avant l'ère judéo-chrétienne - de la XXIIe dynastie pharaonique par le prince amazigh Sheshonq - un Gétule du Sud-Est algérien - qui a conquis le delta du Nil. Un bon départ pour remonter la filière du temps afin de retrouver et reconstituer les premiers événements fondateurs de l'historiographie nationale. Une autre piste privilégie cette datation à partir des premiers aguellids (rois) numides qui régnèrent sur une large partie de l'Est et du Sud-Est algériens. C'était en fait, à l'époque, le groupe humain le mieux organisé et surtout qui laissa des traces et des noms d'hommes (Gaia, Massinissa, Jugurtha, Juba, saint Augustin, Saint Donat, Apulée,...) qui ont posé les premiers jalons de l'histoire ancienne de l'Algérie. Cela ne veut pas dire que la Numidie d'alors représentait toute l'amazighité ou ce que l'on connaît aujourd'hui sous le nom d'Algérie, mais était, c'est indubitable, un principe probant de l'amazighité de cette région de l'Afrique du Nord. Il appartient désormais à l'histoire de réhabiliter cette période de l'identité de l'Algérie longtemps occultée, voire réprimée. Le fait est que les Algériens ne connaissent pas grand-chose du passé de leur histoire - dont justement nous célébrons aujourd'hui la 2962e année - dont Yennayer marque la pérennité. Or, la preuve de immuabilité et de la légitimité du calendrier amazigh est le fait même de l'existence de la ville de Cirta-Constantine - une ville trois fois millénaire dont la fondation remonte à plus de 800 ans avant Jésus-Christ sous le nom de Sarim-Batim - lien indélébile entre un avenir en devenir et un passé encore à reconstruire et à réhabiliter. Remonter l'Histoire à rebours n'est certes pas une sinécure, mais cela reste un enjeu stratégique pour le pays. En effet, connaître et faire connaître l'historicité de l'Algérie est en soi une obligation morale pour le pays, pour sa population. Car, ce n'est pas normal qu'en 2012 on puisse continuer à ignorer un pan de ce qu'a été notre histoire, notre identité. Cette méconnaissance de notre histoire et surtout la «pénurie» d'hommes capables de remonter sa filière a laissé le champ libre à tous ceux qui se sont improvisés «spécialistes» de l'Algérie ou ont fait de l'Histoire de l'Algérie leur domaine patenté. En cinquante ans, l'Algérie a peu investi dans le champ de la connaissance historique quand il fallait en prendre possession, ne serait-ce que pour rétablir certaines vérités et faire justice à l'Histoire de notre pays, dont Cirta, encore une fois, atteste la continuité. Aussi, est-il temps de décoloniser l'Histoire de l'Algérie afin de nous réapproprier notre mémoire collective.