Un confrère algérois, décidément un habitué de la formule lapidaire, après avoir inventé dans les années 1990, la théorie des «3 F», cherche maintenant à arracher un nouveau brevet d'invention pour sa récente trouvaille des «5 + 1», en tentant de convaincre l'opinion publique que la nation est victime d'une conjuration politico-médiatique montée par un groupe de journaux. La liberté d'expression a au moins le mérite, et dans tous les cas de figure, d'ouvrir le débat et de lever bien des équivoques. Cet éditorialiste, pour lequel j'ai beaucoup d'estime après un long compagnonnage professionnel, n'a pas fini de me surprendre. Mais, j'avoue qu'il a en partie raison de m'interpeller sur ce qu'il croit, lui, être un retournement de veste. A sa décharge, je lui reconnais le droit et le devoir de dénoncer ce qu'il croit être un manquement à l'éthique dans une Algérie qui ne finit pas de compter ses Brutus et où la promptitude à tourner casaque est devenue, hélas, un sport national. Je ne lui ferai certainement pas, ici, l'insulte de lui rappeler l'histoire du chameau qui ne voit pas sa bosse, mais faut-il qu'il admette, l'honnêteté intellectuelle l'exigeant, lui le professionnel des médias, que la théorie des ensembles en mathématiques repose sur une somme d'éléments aboutissant toujours à une finalité : l'addition totale. A-t-on besoin de jouer au visionnaire plein de bon sens pour comprendre que dans le jeu morbide des ensembles, et, particulièrement, celui de sa trouvaille des «5 + 1», le danger mortel est que l'on finit toujours par être phagocité. Or, mes confrères de la presse ont eu tout le loisir en trente-cinq années de journalisme, de découvrir mes tares congénitales, mais je suis persuadé, et ils en sont conscients, qu'ils n'ont pas, à ce jour, perçu un quelconque attrait de ma personne pour en faire un candidat ou un amateur de la roulette russe et que mes médecins n'ont décelé en moi, Dieu merci, aucun signe alarmant attestant de prédispositions au suicide par la technique de la phagocitose. Ecrire aujourd'hui que le quotidien L'EXPRESSION a volontairement adhéré à un groupe de journaux pour conspirer contre le pouvoir, contre l'Etat voire même contre le président Bouteflika, relève de la pure gamberge. La presse des intrigues et celle des coups d'Etat n'a, à aucun moment, obtenu nos faveurs. Un journal a une mission sacrée, celle d'informer, mais aussi une fonction sociale. La ligne éditoriale de mon quotidien reste profondément ancrée dans les valeurs du nationalisme algérien qui sont celles du 1er novembre 1954. Je suis un pur produit du FLN. Ce parti est la chance extraordinaire qui s'offre à l'Algérie, à l'avenir, pour rebondir et lui faire caresser de nouvelles espérances de conquêtes politiques, économiques et sociales. Je ne puis accepter, après que le FLN eut reconquis toute sa splendeur d'antan, de le voir subir les tentations morbides du clan au pouvoir de le réduire en une banale machine à gagner les élections par le recours au chantage et à la peur des dobermans des Hadjar et consorts. Je n'ai pas accepté, non plus la manière indélicate et inélégante de révoquer un chef de gouvernement, leader du parti majoritaire au Parlement, parti sans que l'on ait au préalable tenté d'aboutir à un compromis politique pour soustraire l'Algérie à une grave crise institutionnelle. Dieu m'est témoin que j'ai tout fait pour que la rupture entre Bouteflika et Ali Benflis ne se produise jamais. Et tous les deux le savent bien. Tous ceux qui connaissent l'alpha et l'oméga de la vie politique sont conscients que le FLN, c'est d'abord le gage de la stabilité pour la nation entière. Bouteflika n'a pas cru utile d'écouter les conseils avisés de ses meilleurs alliés pour sceller un compromis avec son homme de confiance d'hier, Ali Benflis. Les méthodes de barbouzes pour briser les reins aux militants et aux dirigeants du FLN par les adeptes de la théorie du «coup d'Etat scientifique» ont fini par convaincre jusqu'aux plus indécis que les intrigants du pouvoir précipitaient l'Algérie vers sa perte. Les plus forts, ceux qui croient tirer leur puissance du pouvoir qu'ils exercent, ne sont-ils pas allés jusqu'à ce cynique marchandage qui veut, selon eux, «qui n'est pas avec moi, est contre moi»? En soutenant Ali Benflis, j'ai soutenu le FLN. Avec toute sa force de changement qu'il proposait aux Algériens. Je ne suis pas partisan de l'idée de «tout changer pour que tout reste pareil». Quant à Bouteflika, ceux qui l'ont connu avouent volontiers que c'est un alchimiste hors du commun. Séduire et manipuler sont les deux ressorts de sa vie. Il adore peser sur le destin des hommes et des évènements, infléchir leur cours. Cet homme savait conquérir le coeur de ses semblables, mais il a le défaut majeur de ne pas savoir les écouter. Et c'est ce qui provoque déjà sa perte. Les amis n'aiment pas les agonies. Cela a amplement suffi pour que le proche entourage du président, encouragé par quelques relais médiatiques en mal de notoriété, m'accuse de trahison pour avoir procédé à un recentrage de la ligne éditoriale de L'EXPRESSION après le tragique divorce BOUTEFLIKA-BENFLIS. Je n'obéis qu'à ma conscience et qu'à ma seule conscience. J'ai été et je veux être un esprit libre qui combat pour l'égalité et la justice devant la loi. Je ne suis ni Dr Jekyll, ni mister Hyde, encore moins le célèbre docteur Jivago ! Au risque de paraître «patriotard», je persiste et signe que la ligne éditoriale de mon journal se fonde sur les grandes valeurs du nationalisme, si charnellement algérien. Voilà pourquoi j'aime le FLN, et je considère qu'il est la vraie planche de salut pour trente millions d'Algériens parce qu'il est l'incarnation même de ce peuple. Je ne pratique ni le louvoiement ni le double langage. Dans quelques mois, les dés vont à nouveau rouler pour désigner le futur président de la République. Et il n'y a nul besoin d'être doté d'une vision prospective ou prophétique pour dire que là aussi, c'est le peuple qui aura le dernier mot, souverain, et qu'il est faux de prétendre comme certains Cassandre, à propos de Benflis et de Bouteflika, que «deux scorpions ne peuvent continuer de coexister dans le même bocal». L'EXPRESSION est le seul quotidien d'information ouvert à tous les courants politiques algériens. C'est le lieu privilégié et l'espace médiatique unique qui a accueilli successivement Ali Benflis, Abdallah Djaballah, Ahmed Taleb El Ibrahimi , Rédha Malek, El Hachemi Cherif, Louisa Hanoune, Feu Mahfoudh Nahnah, Me Ali Yahia Abdenour, les animateurs du mouvement citoyen et tant d'autres. C'est ce qui fait le succès de sa formule et qui explique à la fois son tirage en hausse continue et sa crédibilité ici et à l'étranger. A tous ceux qui médisent sur le succès éditorial de L'EXPRESSION, il est encore temps qu'ils comprennent que nous n'avons pas pour habitude de manger à tous les râteliers. Et pour ceux qui feignent de ne pas le savoir, le motif premier de notre suspension pendant trente jours est dû aux choix que nous avons faits de soutenir Benflis. Quant à la fable ressassée des 5 + 1, elle ne peut même pas tromper de crédules enfants, tant l'énormité de sa thèse saute aux yeux. Comment croire que L'EXPRESSION ait rallié le camp d'un groupe de journaux malgré son originalité éditoriale pour en devenir une pâle copie? Déjà que l'on admet difficilement le clonage pour les brebis, après Dolly, pourquoi en voudrait-on pour les journaux?