«Je préfère limiter la participation du PLJ à certaines wilayas, quitte à l'élargir ensuite aux élections locales» Le secrétaire général du Parti de la liberté et de la justice (PLJ), Mohamed Saïd, demande le report de la date des élections législatives pour permettre aux nouveaux partis de participer pleinement et garantir, par-là même, une meilleure représentation populaire dans la future APN. L'Expression: Le chef de l'Etat vient de promulguer les lois inscrites dans le cadre des réformes politiques. Ayant participé aux consultations politiques, quel bilan faites-vous de ces réformes? Mohamed Saïd: Toute réforme politique même tardive est un acquis si elle répond en partie ou en totalité aux attentes de la population et est soutenue par une volonté réelle de changement; il en va ainsi de l'agrément de nouveaux partis politiques, l'implication des magistrats dans le contrôle des élections, la transparence des urnes, l'ouverture de l'audiovisuel, la participation de la femme... Bien sûr, la situation serait meilleure en interdisant le nomadisme politique qui dévalorise l'action politique, en autorisant l'accès au Fichier électoral national pour mettre un terme à la polémique suscitée par la question du nombre exact d'électeurs, en mobilisant en nombre suffisant les magistrats chargés de contrôler la totalité des bureaux de vote, en prenant au mieux les revendications des journalistes et enfin en renforçant toutes les dispositions pour échapper à la dictature de l'argent corrupteur. Appliquons donc ce qui est adopté et travaillons à son amélioration sur la voie de l'instauration d'un Etat de droit fort, juste et transparent. Les élections législatives seront organisées ce mois de mai. Votre parti sera-t-il prêt à y prendre part et comment allez-vous aborder ces échéances? Le temps qui nous sépare des prochaines élections législatives est très court pour que les nouveaux partis puissent participer pleinement à ces législatives. C'est pourquoi, il est souhaitable que la date de ces élections soit reportée pour garantir une meilleure représentation populaire dans la future APN. Pour le PLJ, c'est l'instance issue du congrès constitutif du PLJ prévu pour la fin de ce mois qui tranchera cette question. Personnellement, je préfère limiter la participation du PLJ à certaines wilayas, quitte à l'élargir ensuite aux élections locales. Donc, point de précipitation pour éviter des choix malheureux impossibles à contrôler plus tard, et priorité à la constitution d'un vrai parti avec de vrais militants engagés au service exclusif du pays sur la base d'un projet de société crédible. Les garanties données par le pouvoir sont-elles suffisantes pour assurer des élections transparentes? Peut-on parler réellement de garanties dans un climat de suspicion générale entretenu par la fraude depuis des décennies? Soyons logiques: on ne peut pas passer du noir au blanc, sans passer par le gris. Par conséquent, il faut d'abord rétablir la confiance entre le pouvoir, les citoyens et les acteurs politiques. Celle-ci ne sera possible que si l'Administration respecte son rôle de neutralité et joue la transparence, et que les partis politiques évitent de recourir aux procédés frauduleux pour glaner des voix ou des sièges. Des instructions émanant du plus haut niveau ont toujours été données et rappelées à chaque occasion, mais l'expérience a démontré que cela n'a pas suffi. D'où l'impératif de sanctions exemplaires et nécessairement médiatisées contre les fraudeurs de l'Administration, à charge pour la justice de sévir contre le reste des fraudeurs, car ils existent aussi de l'aveu de tout le monde. L'abstention fait toujours peur aux partis et au pouvoir. Cette peur de voir les Algériens tourner le dos aux élections est-elle justifiée? Oui, bien sûr compte tenu du passé où le comportement de l'Administration dans bien des cas a laissé croire que les résultats étaient pré-programmés et les sièges répartis selon des quotas. D'ailleurs, il n'y a pas que l'abstention électorale qui explique ce dysfonctionnement démocratique. Il y a aussi une autre forme de désaveu politique qui affaiblit la légitimité des institutions. C'est le nombre de plus en plus élevé de bulletins blancs qui a dépassé un million à la dernière élection présidentielle. Une chose est sûre: le taux d'abstention sera réduit si l'électeur est convaincu de la sincérité de l'Administration et se trouve en présence de candidats représentatifs et compétents. Les islamistes algériens peuvent-ils rejoindre les islamistes des pays de l'Afrique du Nord et remporter la majorité des sièges de l'APN? On ne peut rien exclure en l'absence d'instituts de sondage fiables même si la donne islamiste est incontournable dans la composition du paysage politique. Faire des pronostics sérieux en se basant sur l'effet probable de contagion extérieure a peu de valeur. Au mieux, il fait partie de la guerre psychologique pour mobiliser une partie de l'électorat. Cela est d'autant plus vrai que chaque société a ses spécificités forgées par son histoire, sa géographie et sa structure socio-économique; la preuve est que les manifestations violentes d'Octobre 1988, qui ont provoqué le passage dans la douleur au multipartisme, n'ont pas eu d'effet d'entraînement dans les pays voisins. Par contre, il est incontestable que l'aspiration à plus d'Etat de droit et de démocratie est partagée par tous les peuples. C'est pour cette raison que le changement demeure un impératif urgent, car les mouvements quotidiens de protestation qu'on observe çà et là à travers notre pays peuvent tourner à l'émeute générale aux conséquences imprévisibles. On présente le courant islamiste comme étant une menace. Les islamistes représentent-ils vraiment, à votre avis, une menace pour la République? Quelle que soit la prochaine force parlementaire dominante, elle sera tenue d'exécuter le Programme du président de la République et non pas le sien. C'est l'article 79 de la Constitution qui le stipule clairement. Alors, où est le danger? De quoi a-t-on peur dans un système construit sur des lois conçues pour empêcher tout extrémisme religieux? Par contre, il m'arrive de penser que ceux qui brandissent sans arrêt la menace islamiste souhaitent en réalité le pourrissement pour parasiter la volonté populaire et justifier ainsi le maintien du statu quo. Un vrai démocrate, quelle que soit sa tendance politique, doit lutter pour permettre au peuple de faire librement son choix. Il doit assumer le risque de ce choix en se soumettant au verdict des urnes. A mon avis, ce serait méconnaître le peuple algérien que de le traiter de mineur incapable de tirer des leçons du passé pour applaudir les extrémistes de tous bords... Des appels sont lancés pour constituer un front commun des islamistes à l'occasion des prochaines législatives. Cela est-il possible dans le contexte politique actuel? Tout est possible sur le plan théorique, mais sur le plan pratique le camp islamiste est divisé, celui des démocrates aussi. Il est clair que le pouvoir a réussi à atomiser la classe politique en utilisant tantôt la carotte, tantôt le bâton. Cet émiettement mettra du temps pour disparaître tant que l'ambition personnelle démesurée et l'intérêt partisan priment. En attendant, il fait l'affaire du pouvoir qui a tort de neutraliser les contre-pouvoirs. Pourquoi, à votre avis, l'opposition algérienne en général et les démocrates en particulier n'arrivent pas à s'unir autour d'un smig démocratique pour présenter une alternative commune aux Algériens? J'ai déjà répondu en partie à votre question. J'ajoute que beaucoup d'opposants autoproclamés ont toujours bâti leur position sur le sens du clin d'oeil du pouvoir. D'où la nécessité de recomposer le champ politique pour rajeunir sa composante humaine, impliquer l'élite intellectuelle et permettre l'émergence de nouvelles compétences capables comme vous le dites de s'unir autour d'un smig démocratique et de travailler ensemble, sans attaches ni complexes. On vous laisse le soin de conclure... Le train du changement est parti. Que ceux qui hésitent tâchent de le rattraper à la prochaine gare. C'est peut-être la dernière chance pour tous ceux qui rament à contre-courant de l'Histoire qui s'accélère sous nos yeux.