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Une malédiction à conjurer par l'intelligence
LA FUTURE RENTE DES GAZ DE SCHISTE
Publié dans L'Expression le 25 - 02 - 2012

L'Algérie est le premier pays producteur qui risque de devenir un pays importateur de pétrole
«La pensée sans action est un vain mirage, l'action sans pensée un vain effort.» Gustave Le Bon
Rituellement et épisodiquement on utilise le 24 février pour «revivre» la dimension historique du 24 février qui fut à l'époque et à bien des égards une seconde indépendance. Cependant, la symbolique du 24 février s'est refroidie en rites car dans un contexte international de plus en plus erratique en ce qui concerne l'économie, la finance, l'énergie s'invite suite aux dernières mesures de l'Occident vis-à-vis de l'Iran. De plus, du point de vue géopolitique le «Printemps arabe», logiciel occidental, continue à donner ses fruits. Après la mise à mort de l'Etat nation irakien, 2011 a vu la partition du Soudan qui se vit amputé du Sud riche en pétrole. La descente aux enfers des pays arabes se poursuit, avec la mainmise en 2011 sur les ressources pétrolières de la Libye avec en prime, le lynchage de son leader. On se souvient que l'année 2011 a été perturbée un court moment par le désastre de Fukushima, c'était sans compter l'AIE qui, dans un premier temps, a sorti le nucléaire des bilans énergétiques -opinion publique oblige- ensuite l'a réintroduit à telle enseigne que l'Europe (notamment France et Royaume-Uni) persistent et signent: ils développeront le nucléaire et même celui du futur EPR. Il n'y a que l'Allemagne qui tient à fermer le dernier réacteur en 2022 investissant à marche forçée dans les énergies renouvelables (notamment par Désertec).
Par ailleurs, les tensions internationales font que le prix du brut augmente pour atteindre 125$ à Londres. Enfin l'avènement des gaz de schiste est une nouvelle donne qui permet aux Etats-Unis de redevenir le premier producteur de gaz. On l'aura compris et on l'a vu avec la kermesse de Durban, les changements climatiques n'intéressent plus personne L'once d'or n'a cessé de prendre de la valeur. Ainsi, si on prend en compte seulement la dernière période de 2000 à 2009, les prix de l'or par rapport aux indices boursiers sont passés de 272 dollars à 1000 dollars le 20 février 2010 et à 1400$ le 20 février 2011 et 1780 dollars le 23 février 2012. Une première question qui vient à l'esprit s'agissant de l'Algérie: pourquoi ne pas convertir une partie de nos réserves de change (182 milliards de $) en or au lieu de s'effriter en consolidant les banques américaines avec un intérêt dérisoire et une inflation importante? Il est vrai aussi que nous nous dirigeons inévitablement vers un épuisement des réserves d'énergies fossiles. D'après l'Aie, le peak oil aurait été dépassé en 2006, nous serions inéluctablement sur le déclin... Quelques éléments pourraient cependant provisoirement, changer le cours des choses et ralentir ce phénomène de déplétion. C'est, dit-on, le miracle des gaz non conventionnels Que feront les Etats-Unis pour garder leur suprématie? Le journaliste David S. Broder a la solution: il demande au président d'attaquer l'Iran: «La guerre et la paix influencent l'économie. Regardez ce qu'a fait Franklin Delanoë Roosevelt, comment il a résolu la crise économique: la Seconde Guerre mondiale (...) Je ne suggère pas au président de faire la guerre pour être réélu....».
La situation en Algérie
On dit souvent que le pétrole est une malédiction pour le peuple algérien. A plus d'un titre, nous allons montrer que ce n'est pas faux. En effet, depuis 1971, nous avons extrait du sous-sol environ 2 milliards de tep, qui ont été responsables à des degrés divers d'une pollution de 4 milliards de tonnes de CO2 qui stationneront dans l'atmosphère encore pendant 120 ans. Si on continue à ce rythme de production débridée de 1,5 million de barils/jour, sans nouvelle découverte significative, nous en aurons pour 8000 jours, soit une vingtaine d'années. De 1965 à 1978, l'Algérie a engrangé 22,5 milliards de dollars. Il y eut la création d'une trentaine d'entreprises d'envergure internationale dont la Sonatrach, la Sonelgaz et la Snvi ou ce qu'il en reste. L´essentiel de l´industrie pétrolière actuelle date de cette époque. Nous sommes bien contents d´avoir reçu en héritage, une capacité de raffinage de 22 millions de tonnes des complexes de pétrochimie...Souvent on montre des inaugurations au Sud tendant à faire croire que l'Algérie se développe, il nous faut raison garder, la plupart des installations inaugurées avec les partenaires, le sont dans l'amont en clair c'est pour faciliter d'une certaine façon l'hémorragie du pétrole et du gaz pour l'exportation.
De 1979 à 1991, c'est à près de 125 milliards de dollars de rente. Cette époque est marquée par le programme antipénurie - l'importation massive de biens de consommation donnait à l'Algérien l'illusion qu'il était riche et appartenait à un pays développé; tragique erreur que la chute des prix du pétrole de 1986 est venue brutalement nous rappeler et le début de la démolition des pans entiers de l'industrie. De 1999 à 2011, c'est plus de 500 milliards de dollars. Au total, c'est près de 700 milliards de dollars en 40 ans; qu'avons-nous fait si ce n'est d'avoir investi dans le social sans réelle création de richesse à même de diminuer notre dépendance? Nous sommes dépendants pour notre nourriture à 80% de l'étranger. Depuis 2008, nos dépenses ont été multipliées par deux -record de 46 milliards de $ dont 4 milliards de dollars pour les voitures. L'économie se bazarise de plus en plus et nous incite à la paresse. L´Algérien finance ainsi l´emploi des ouvriers chinois, turcs, les emplois de Renault qui ne veut pas construire autre chose que des showrooms.... Sommes-nous, comme le dit l´adage populaire, des marchands et non des bâtisseurs?
Pour Nicolas Sarkis: «L'Algérie va devenir un importateur de pétrole.» L'Algérie est le premier pays producteur qui risque de devenir un pays importateur de pétrole. «L'Algérie est le pays qui détient le plus faible taux de production et de réserves à l'Opep... De plus, nous remarquons que du fait de l'augmentation des besoins énergétiques internes, l'Algérie ne pourra pas exporter dans un proche avenir des quantités importantes de pétrole», indique M.Sarkis. L'Algérie n'a pas joué la prudence dans l'exploitation de ses richesses: «Non seulement la dépendance aux hydrocarbures a augmenté de 70%, dans les années 1970 à 98% aujourd'hui, la production actuelle, estimée à 1,4 million de barils/jour, demeure élevée. C'est une erreur que de penser à gagner beaucoup d'argent en un temps réduit en épuisant les réserves, notamment dans la conjoncture actuelle. Avec le maintien de sa dépendance aux hydrocarbures, l'Algérie peut se réveiller un jour sur une situation très douloureuse», note M.Sarkis. (1)
La nouvelle malédiction des gaz de schiste
Il est vrai aussi que nous nous dirigeons inévitablement vers un épuisement des réserves d'énergies fossiles: pétrole, gaz et charbon manqueront complètement à l'échelle de la fin de ce siècle. D'après l'Aiea, le peak oil aurait été dépassé en 2006, nous serions inéluctablement sur le déclin... Quelques éléments pourraient cependant provisoirement, changer le cours des choses et ralentir ce phénomène de déplétion. Cette nouvelle manne est vue dans les pays occidentaux comme une réponse à l'hégémonie des pays du Sud et de la Russie sur le gaz. Il s'agit bien de gaz de schiste ici stocké dans les roches, ce qui en rend difficile son extraction. On estime ainsi que la consommation mondiale de gaz devrait passer de 3 Teram3 en 2007 à 4,4 Teram3 en 2030. Alors que les réserves de gaz naturel conventionnel décroissent (estimation à 60 ans de consommation), un certain nombre de pays se tournent de plus en plus vers l'extraction de gaz non conventionnels qui permettent de réévaluer les réserves mondiales de gaz de 60 à 250%, selon Petroleum Economist. Les réserves de gaz de schiste sont estimées à 666 Teram3 contre 185 Teram3 de gaz naturel. L'Algérie disposerait de 6700 milliards de m3 (Bassin de Ghadamès et deTindouf), à comparer aux 4500 milliards de m3 de gaz naturel conventionnel.
La révélation de tels gisements exploitables représente, pour la société énergivore d'un nouvel âge que l'on qualifie d'oléocène, une manne considérable... Une telle exploitation ravageuse n'est rendue possible que grâce à la technique de fracturation hydraulique des roches, ainsi qu'à une récente amélioration des méthodes d'extraction, en particulier par forage horizontal.... À deux ou trois mille mètres de profondeur, la réunion des micro-poches à l'aide d'un explosif détonné pour chacune des brèches occasionne un véritable séisme. La fracturation se fait par un mélange d'eau en grande quantité, de sable et de redoutables produits chimiques propulsés à très haute pression (600 bars), méthode qui génère la remontée du gaz à la surface avec une partie du redoutable liquide de fracturation. Chaque «frack» nécessite quasiment 15.000 mètres cubes d'eau, un puits pouvant être fracturé jusqu'à 14 fois.
Soit environ 200.000 m3 pour chaque puits tous les 500 mètres! Nous devons nous interroger si les gaz de schiste sont un nouveau miracle pour un pays rentier comme l'Algérie ou est-ce une malédiction de plus qui renvoie aux calendes grecques la mise en ordre de ce pays. Ce qu'il y a de sûr est que cette technologie contribue d'une façon conséquente à l'augmentation des gaz à effet de serre, notamment par le largage du méthane qui a un effet de serre plus important que le CO2. De plus, il faut avoir à l'esprit qu'il y a plusieurs centaines de produits qui sont injectés, certains polluant à terme les nappes phréatiques rendant l'eau déjà si rare, impropre à la consommation, ceci en dehors des émanations de produits chimiques qui auront un effet néfaste sur l'environnement. De plus, s'agissant d'un pays en stress hydrique permanent comme l'Algérie, engager 15.000 m3 d'eau douce par forage est un gaspillage d'une ressource rare. Enfin les effets de la fracturation du sous-sol sont une inconnue du point de vue stabilité géologique. Il est navrant de remarquer alors que ces techniques de fracturation sont interdites en France, ou gelées comme au Canada, à l'exception notable des Etats-Unis, chez nous on ne consulte personne. Total, à qui on a interdit les activités de fracturation en France, va nous aider à rester des rentiers, en fragilisant le sous-sol, en polluant les nappes et en détournant l'eau. Je n'ai rien contre l'exploitation des gaz de schiste qui doivent être bien encadrés, c'est une réserve stratégique qui ne doit être exploitée que si les conditions techniques ne soient pas aussi désastreuses qu'elles ne le sont actuellement. Dans tous les cas, un débat national dans le cadre d'une stratégie énergétique s'impose.
Un 24 février du futur indexé sur la sobriété énergétique et la formation des hommes
Actuellement nous épuisons frénétiquement l'énergie, croyant être malins alors qu'il serait plus sage de n'exploiter que le strict nécessaire, sachant que notre meilleure banque est notre sous-sol. Par ailleurs, on achète n'importe quoi. On achète des équipements électroménagers qui sont des gouffres d'énergie électriques (four, frigidaire). Des voitures qui dépassent toutes 150 g de CO2 par km. Chose qui est interdite en Europe. Parce que la norme en Europe est de 120 g. Donc c'est 30% d'énergie qui va dans l'atmosphère. A ce rythme de gaspillage frénétique de nos ressources, l'Algérie a épuisé sans discernement ses ressources, véritables défenses immunitaires. Ce sera, à Dieu ne plaise, le chaos.
Nous sommes en 2030. La population sera de 45 millions de personnes. Pour la consommation interne en supposant un modeste développement qui nous fera passer de 1 tonne de pétrole consommée par habitant et par an à seulement 2 tonnes, c'est 90 millions de tonnes à mobiliser. Nous les aurons de moins en moins, ce qui va se ressentir d'une façon drastique sur notre rente car étant mono-exportateur, il nous faudra chercher d'autres sources de production de richesse pour entretenir le fonctionnement du pays avec au moins 15 milliards de dollars pour la facture alimentaire. Imaginons par contre, un gouvernement fasciné par l´avenir, la première chose à faire c´est de miser sur l´intelligence et le savoir. Chacun sait par exemple, que le modèle énergétique algérien prenant en compte les profondes mutations du marché énergétique mondial dans un contexte d´évaporation, est à inventer. En fait, rien ne peut remplacer un effort national pour la définition d´un modèle énergétique qui part de l´identification de l´ensemble des gisements de ressources qui ne peuvent être seulement matérielles (fossiles et renouvelables), des modes de consommation adossés. Il nous faut mettre rapidement en place des états généraux de l'énergie qui concerneront tous les départements ministériels et même la société civile qui devra être convaincue de la nécessité de changer de cap: passer de l'ébriété énergétique à la sobriété énergétique. Le maître mot en tout, est l'autonomie, la production nationale qu'il faut encourager. Nos gisements sont sur le déclin. La stratégie à mettre en oeuvre consistera justement à un triple objectif: assurer une relève graduelle par les énergies renouvelables, modérer et dimensionner notre production en fonction des stricts besoins de l'Algérie en rompant une bonne fois pour toutes avec la culpabilité de «nos engagements». Faire la chasse au gaspillage qui représente un gisement perdu d'au moins 20%, selon l'Aprue. Le meilleur gisement d'électricité dans le pays, c'est l'électricité que l'on ne consomme pas, c'est l'essence que l'on ne consomme pas, Il nous faut nous adosser à des locomotives capables de nous faire gagner du temps et de l'argent, la Chine, l'Allemagne sont tout indiqués. Au lieu de fabriquer par exemple, le silicium qui ne sera pas rentable, il serait préférable de militer pour un transfert de technologies réel. A titre d'exemple, les Chinois, qui participent à la construction d'un million de logements, peuvent intégrer l'installation des chauffe-eau solaires. Les pays en développement se sont lancés dans le chauffe-eau solaire; il y a 100.000 chauffe-eau solaires sur les toits des maisons de Tunis! En moyenne, un appartement dépense près d'une demi-tonne de pétrole pour le chauffage, soit pour les deux millions de logements construits, l'équivalent d'un million de tonnes qui peuvent être épargnés, soit l'équivalent de 700 millions de dollars! Ce qu'il faut comprendre est que l'énergie est sur le déclin, que nous avons une génération devant nous (20 ans) pour réussir le coup de rein salvateur qui passe aussi par la formation des hommes. Et l'Université a un rôle majeur dans la formation, des ingénieurs, des techniciens capables de prendre en charge cette utopie à notre portée. J'ambitionne pour mon pays un nouveau 24 Février d'une stratégie énergétique pour le XXIe siècle avec les outils des nouvelles technologies. Rien ne doit alors, s'opposer à une remobilisation de l'Université qui doit faire preuve d'imagination, qui doit former des créateurs de richesse et non des demandeurs d'emplois. Parmi les grands défis du pays, ceux de l'énergie, de l'eau, de l'environnement et de l'autosuffisance alimentaire devraient être des axes structurants de notre recherche. La stratégie énergétique est de mon point de vue l'un des débats structurants dont devrait s'emparer la future assemblée. Tout le secret de la gouvernance est justement de mobiliser le plus grand nombre autour d'une utopie seule capable de sauver l'Algérie quand la rente ne sera plus là. (2)
1. C.E. Chitour-N. Sarkis dans: Pour un 24 Février pour le développement durable http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=23374
2. C.E. Chitour: Problématique des Shale gaz Workshop de l'AIG: Oran 28/ 29 février 2012


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