La lettre du président algérien ne peut être abordée sous un autre angle de vue. Sans évènement particulier, ni explications préalables, le chef de l'Etat algérien a adressé, jeudi, une longue et élogieuse lettre à son homologue français. Dans cet écrit, intégralement repris par de nombreux médias, le président Bouteflika a mis en exergue les «axes de convergence» entre Alger et Paris. Cela, aussi bien dans le domaine des relations bilatérales que dans celui des positions internationales. Bouteflika va plus loin en ajoutant que «les rapports entre les deux pays n'ont cessé d'évoluer positivement depuis que le président Chirac est à la tête de la présidence». La sortie de Bouteflika, qui ne répond à aucune conjoncture particulière, ressemble à une effusion incontrôlée, censée être proscrite à un tel niveau de responsabilité: «J'ai considéré de mon devoir de m'exprimer aussi librement (...) mais convaincu de vos mérites et conscient de me faire ainsi l'interprète de bien de mes collègues arabes et africains.» Cette justification est précédée par les nombreux «hauts faits» du président Chirac en faveur des peuples défavorisés, et du respect du droit international. Curieusement, pas un mot n'a été soufflé à propos de la position française en faveur du Maroc concernant la question du Sahara occidental, ni les nombreuses déclarations de Chirac faites en ce sens, et encore moins les actions diplomatiques de Paris contre le plan Baker au niveau du Conseil de sécurité de l'ONU. Nul doute, estiment des sources diplomatiques, que cette lettre est venue rassurer une France affolée devant l'offensive tous azimuts des Anglo-Saxons bien décidés à faire de l'Algérie en particulier et du nord de l'Afrique en général, une zone d'influence américano-britannique depuis que le monde est devenu «unilatéral», que l'ensemble de ses institutions sont tombées sous contrôle américain et que ces derniers ont résolu d'étendre leur domination aux quelques rares régions jusque-là contrôlées, soit par la «Vieille Europe», soit par la France elle-même. L'ambassadeur britannique, Graham Hand, invité de notre rédaction, avait insisté pour dire que son pays était le premier investisseur en Algérie, dépassant donc la France. Quelques jours plus tard, le même diplomate annonçait, pour la première fois de l'histoire de notre pays, la venue de British Airways. Une grande compagnie, capable de rivaliser avec Air France, et même de modifier quelque peu les «habitudes» des Algériens. Ces derniers, qui apprennent la langue de Shakespeare de plus en plus tôt, pourraient également changer d'habitude linguistique dans une ou deux générations. Idem pour l'offensive américaine, qui ne s'est jamais autant intéressée à notre pays, aussi bien sur le plan militaire et géostratégique, que sur le strict plan de la coopération économique, puisque les puissants Etats-Unis se proposent de défendre la position algérienne lors de ses prochaines négociations pour son adhésion à l'OMC. C'est ce qu'a déclaré William Burns, sous-secrétaire d'Etat aux affaires proche-orientales et d'Afrique du Nord lors de son passage par Alger. Bouteflika, qui sent la nervosité française face à cette offensive de charme quasi irrésistible, estiment des sources, «a tenté de rassurer l'Elysée» dans sa course aux alliances pour un second mandat. Il faut dire aussi que les Anglais et les Américains se sont montrés clairs en «souhaitant» que le prochain président soit élu dans «la transparence, la liberté et le respect de la souveraineté populaire». Intérêts obligent, la France pourrait se montrer un tantinet moins regardante...