Pourquoi nous avons lamentablement échoué dans la réforme de notre école? Lorsqu'on emprunte les mauvais chemins, on n'arrive jamais à bon port. C'est une vérité qui a coûté à tous ceux qui n'en ont pas tenu compte, tant au niveau des individus qu'à celui plus important encore, des sociétés. Dans quelques jours, notre pays fêtera ses cinquante années d'Indépendance. Son demi-siècle de souveraineté. Ses cinq décennies de décisions autonomes. C'est sans doute une occasion appropriée pour tirer un bilan et il y a tout lieu de croire que des rapports, des discours et des recommandations ont été préparés pour la circonstance. On nous rappellera le nombre croissant des écoles construites et des enfants scolarisés. On nous dira combien d'universités ont été bâties depuis le départ des Français, combien de campus universitaires, combien de facultés, de départements ont été ouverts à nos chers enfants. On nous débitera tous ces chiffres se rapportant au nombre des diplômés qui sortent chaque année. On nous comptera les hôpitaux et centres de santé érigés çà et là dans notre Algérie indépendante, le nombre de médecins qui oeuvrent pour notre santé et, pour nous impressionner encore plus, on nous donnera la version dinars de toutes ces choses, c'est-à-dire combien cela a coûté au pays de faire tout cela, histoire de nous dire où est parti notre argent. Les mêmes mots, les mêmes arguments reviendront, secteur par secteur, branche par branche, jusqu'à ce que nul n'écoute plus, alors on plie les papiers et l'on se tait en attendant de nous retrouver pour nous présenter un autre bilan après cinquante autres années. Et qui sera de ce monde dans cinquante ans pourra comparer et voir l'évolution par rapport aux cinquante années passées... Cette manière de faire nous caractérise bien. Certes, on n'est pas les seuls au monde à nous comporter de la sorte, mais est-ce une raison pour agir ainsi? Le ciel de l'humanité Pourquoi sommes-nous donc condamnés à ne regarder que pires que nous. Quelle est donc cette maladie qui nous empêcherait de lever la tête pour regarder haut. Regarder ceux qui ont pris leur envol dans le ciel de l'humanité. Quelle est donc cette chaîne qui nous maintient collés à la mouise depuis cinquante ans? Il convient de poser, un jour ou l'autre, les bonnes questions et un cinquantième anniversaire est, à notre avis, plus qu'indiqué pour une telle chose. Demandons-nous alors pourquoi l'Algérien continue-t-il à mal vivre et à se mal sentir dans sa peau. Demandons-nous pourquoi nous avons lamentablement échoué dans la réforme de notre école et pourquoi, puisque nous y sommes, toutes nos réformes ont-elles fini en queue de poisson. Posons-nous la question de savoir si cette armée de diplômés trouve du travail en sortant des universités ou bien si elle sert uniquement à gonfler les rangs d'un luxueux chômage avec Bac plus quatre ou Bac plus cinq. On va certes nous dire que le chômage existe partout et que ce n'est pas une invention de chez nous, mais ils oublieront de nous préciser que, partout on fait quelque chose pour lutter contre ce fléau, alors que chez nous on l'ignore, comme si ignorer les choses les ferait disparaître. Posons aussi la question de savoir pourquoi un étudiant qui sort aujourd'hui de l'université arrive-t-il à peine à rédiger une lettre pleine de fautes alors qu'un lycéen est incapable de faire une demande. Demandons-nous aussi pourquoi dans nos hôpitaux nous sommes mal reçus, mal pris en charge, mal programmés, mal soignés, et même mal regardés... et pourquoi les médicaments manquent-ils?... Si nous posons ces quelques questions, ce n'est pas pour cracher dans la soupe, comme on dit, car il faudrait être aveugle doublé d'ingratitude pour oser nier que des efforts ont été faits... et de grands efforts. Mais on les pose, ces questions, pour dire que l'efficacité a manqué. Elle a toujours manqué! Rien de ce que nous avons jusque-là entrepris n'a eu de bons résultats parce que nous ne faisons pas bien les choses. Comment le pourrions-nous alors que les responsabilités ne sont pas attribuées en fonction des compétences ou du mérite? Comment le pourrions-nous, lorsque les critères de choix des hommes sont toujours subjectifs, colorés à l'humeur, au régionalisme, au clientélisme, ou à tout autre aspect dégradant? On ne peut aspirer à une efficacité quelconque lorsque la gestion des choses est loin d'être correcte. Le manque de compétence et l'inaptitude à gérer ont conduit à l'instauration d'un système médiocre, généralisé qui a envahi tous les secteurs. Sans exception. Des sentiers infects Au fil du temps, ce système s'est imposé progressivement. Dans l'école, tel un bulldozer, il a écrasé les enseignants, les élèves et les procédures. A l'université, il a détruit l'essentiel et brûlé le reste. Dans le domaine de la santé, ni les médecins n'arrivent à faire face au manque permanent de place, de moyens, et de possibilités, ni les malades ne peuvent changer quoi que ce soit. La culture chez nous est un cadavre puant qui se promène sur des sentiers infects, agressant le monde avec sa mauvaise odeur. La corruption s'est installée dans les unes des journaux chaque matin que Dieu fait. L'impuissance avec. On a même entendu dernièrement le Premier ministre se plaindre des «conteneurs» avec tout ce que cela comporte concernant le plan du sens et aussi concernant le sens du plan. Le ciel de nos enfants s'obscurcit chaque jour un peu plus. L'éducation va mal, la santé est mal prise en charge, l'industrie fait du sur-place, l'agriculture laisse à désirer et les réserves de pétrole qui diminuent à chaque fois qu'on en tire un baril. Et Dieu sait qu'on n'y va pas de main morte. Depuis l'Indépendance, c'est-à-dire depuis cinquante ans, nous entendons les mêmes promesses. Et puis, nous éprouvons les mêmes déceptions. Nos problèmes sont plus durs que nos aspirations. Ils reviennent à chaque saison, un peu plus difficiles à supporter et un peu plus compliqués à résoudre. Comme si rien n'était fait alors que, encore une fois, nul ne peut nier que beaucoup d'efforts ont été déployés depuis longtemps. Pourquoi alors en sommes-nous là? Ils nous l'expliqueront peut-être dans cinquante ans. En attendant, et pour tout dire, rien ne va. Et même pour tout bien dire, rien ne va plus. Normal, lorsqu'on ne sait ni où aller ni comment. [email protected]