Les élections à Oum Dounia, un test démocratique pour l'après-Moubarak l'homme a sans cesse envie de croire qu'il y a meilleur dans l'avenir. L'histoire de l'humanité est jalonnée d'événements. Bons ou mauvais, ces moments que la mémoire commune des hommes ne se résigne point à effacer des millénaires durant, sont toujours importants autant qu'ils sont porteurs d'espoirs et de craintes. D'espoir d'abord, parce que l'homme a sans cesse envie de croire qu'il y a meilleur dans l'avenir, et de craintes parce que lorsqu'on a commis l'erreur de s'attabler une seule fois avec le malheur, on n'est plus jamais tenté de revenir y goûter encore. Les dommages causés par la gouvernance arabe, ces cinquante dernières années, ne se sont pas arrêtés à l'immense sous-développement de nos économies, ni à la multitude de maladies qui déchirent nos sociétés, ni même à l'état de délabrement de beaucoup de nos institutions, l'Ecole en premier. Ils s'étendent bien au-delà. Beaucoup plus loin. Aujourd'hui, il faut en convenir, nous sommes moins aptes que par le passé à nous supporter mutuellement. Nous sommes moins capables de dessiner des lendemains pour nos enfants et il nous est pratiquement hors de portée de faire l'esquisse d'un projet pour une seule de nos sociétés. Notre école, à force d'être détruite jusque dans ses profonds fondements, a fini par devenir un endroit sans aucun sens du sens et sans contenu convaincant. Et, prenant leur cuisant échec pour une réussite sans pareille, ces gouvernants nous alignent des chiffres truqués qu'ils ne savent même pas lire parfois. Tant de milliers d'inscrits, tant de milliers de réussis, tant de pour cents avec une mention... Mais de quelle réussite parlez-vous donc? Et de quelle mention? Mieux, ils vont parfois jusqu'à pousser le bouchon plus loin: peu de pays ont fait ce que nous avons fait, soutiennent-ils presqu'en hurlant. Heureusement, faut-il leur dire, heureusement, sinon l'humanité ne serait point là où elle est. Après cinquante ans de gestion amorphe, vivant dans leur chair l'incompétence de leurs gouvernants, l'improvisation médiocre et la destruction de toute chose positive, nos sociétés ont perdu jusqu'à l'habitude du normal. A chaque fois que nous voulons discuter, nous nous querellons, quand nous voulons parler avenir, nous prenons le passé comme décor et si, par hasard il nous arrive de vouloir pouvoir choisir, alors nous nous entre-tuons tout simplement. Les conséquences de ces cinquante dernières années n'ont pas fini de se faire sentir. Elles ne font que débuter. Et, parmi ces conséquences, il en est une particulièrement qui mérite beaucoup d'attention. Il s'agit de notre manière violente de traiter les choses. Ce que certains osent appeler encore le «printemps arabe» n'est qu'une insulte, parmi tant d'autres, jetée à la face de ces sociétés qui ne savent plus changer de chefs, voire de système de gouvernement, sans passer par le sang. Ce n'est pas de leur faute mais bien celle de ceux qui les ont gouvernées trop mal et trop longtemps. Ceux-là mêmes qui sont devenus sourds aux appels au changement, à l'amélioration et au bien-être des citoyens. Il a fallu à chaque fois que le sang coule, et beaucoup, pour qu'ils se rendent compte de leur bêtise sans jamais la reconnaître. Beaucoup de sang a coulé en Tunisie avant que la fuite de Ben Ali n'y mette un terme trop tardif. Jusqu'à la dernière minute il n'avait pas compris, malgré ce fameux «je vous ai compris» puisé à la va-vite dans les discours du général de Gaulle. Beaucoup de sang a coulé au Yémen avant que le départ d'Ali Salah ne fasse baisser fortement la tension. Et beaucoup de sang a aussi coulé avant que le départ de Moubarak ne permette un certain apaisement. Quant à la Libye, tout un pays a été détruit et il a fallu que Kadhafi meure pour que la violence baisse de quelques crans. Un scénario qui est vraisemblablement en train de se reproduire progressivement en Syrie où la mort ne se compte plus et où la coulée de sang n'a pas le temps de sécher. Si l'on devait faire un état rapide des lieux, on constaterait que le déracinement des gouvernants arabes n'a pas résolu les problèmes de leurs sociétés respectives. Au contraire, cela contribue à en poser de nouveaux. Et de sérieux! Bonjour les dégâts Les populations arabes ont longtemps attendu de voir une quelconque amélioration. Ce n'est donc pas anormal qu'elles expriment, du jour au lendemain, une certaine exaspération et se plaignent de la lenteur dans la satisfaction de leurs attentes. Les demandeurs d'emploi, les demandeurs de logements, les mécontents de la disparité des salaires,... en viennent à exiger des réponses rapides à des problèmes structurels qui, seulement sur la longue période, pourraient être résolus. Les jeunes, majoritaires dans toutes ces sociétés, et après avoir substitué leur légitimité révolutionnaire à celle de leurs ainés en Tunisie et en Egypte, surtout, n'attendent pas moins d'une prise en charge sérieuse et rapide de leurs préoccupations (éducation, logement, emploi...). Et lorsqu'on regarde les caractéristiques générationnelles, on n'est même pas étonné de les voir en faire des exigences immédiates. Cela fait partie de leur manière d'être que l'on pourrait certainement expliquer par la contrainte longuement exercée par les pouvoirs en place sur les attentes de cette tranche si importante de la population. A cela, il faudrait ajouter le fait que nous avons des sociétés sciemment rendues par leurs gouvernants incapables de produire leur pain, de tisser leurs vêtements ou de filtrer leur eau et qui, au moindre signe venu d'ailleurs, se mettent à danser. Quant à produire leurs machines ou leurs avions...! La scène publique arabe est désolante ces derniers temps. En Tunisie, les manifestations ne cessent point. En Egypte, longtemps la place Tahrir a connu des regroupements et des manifestations jamais innocentes, parfois violentes, souvent dures, toujours inquiétantes. En Libye c'est plus inquiétant encore à cause des clivages tribaux et du manque de clarté dans la donne politique. Au Yémen, c'est le flou total. La vie semble y avoir changé de... palier. Et les groupes armés qui s'activent dans le sud du pays n'arrangent en rien les choses. Où que l'on va dans ces sociétés qui ont connu le soi-disant «printemps arabe», le lourd fardeau du présent montre à quel point malhonnêtes et incompétents ont été les gouvernants jusqu'alors. Mais si l'on jette un regard plus loin qu'aujourd'hui, c'est-à-dire si l'on ose considérer les jours à venir, alors ce qu'on y voit a de quoi inquiéter. Sérieusement! Attention aux lendemains Malgré les efforts louables qui se déploient actuellement en Tunisie pour un retour rapide à la stabilité et à une situation «normale», la victoire du parti d'Ennahda effraie beaucoup de Tunisiens. Est-ce à cause éventuellement de la peur de l'inconnu, cette fameuse raison de la résistance au changement si enseignée dans les facultés de gestion? Ou bien est-ce par manque de confiance? Il faudrait souhaiter beaucoup de réussite à ce pays frère et espérer que l'amélioration s'accélère. En Libye, les choses sont moins bonnes. L'esprit tribal qui a toujours régné au pays d'Omar El Mokhtar ne peut pas être balayé à coups de fusil ou négligé tout simplement. La discorde entre certaines tribus est bien là, et à cela, il faudrait ajouter le fait que le nombre impressionnant d'armes qui circulent encore entre les mains inconnues n'arrangent en rien la donne. Les récentes attaques du siège du gouvernement à Tripoli par des ex-rebelles obligent à la prudence lorsqu'on discute de l'avenir de ce pays. Les lendemains de la Syrie sont complètement inconnus. Falsifié par la mésentente entre d'une part, l'Occident et, d'autre part, la Russie, le problème syrien risque de se transformer pour laisser la voie à un scénario à la libyenne ou pire car il risque d'entraîner de mauvaises conséquences régionales. L'Egypte et les choix impossibles Le comportement du Pharaon avait fini par lui attirer une série de sanctions qui furent appelées «les dix plaies d'Egypte». Le Coran, n'en cite que cinq (sourat El Araf, verset 133) qui sont: l'inondation, les sauterelles, les poux (ou la calandre), les grenouilles et le sang. Il ne s'agit pas ici de discuter du nombre de punitions divines qui touchèrent le pays du Nil, mais plutôt pour rappeler que ce pays eut à vivre de terribles moments et à connaître d'atroces douleurs. L'élection présidentielle actuelle a, dans son premier tour, abouti à la sélection du duo Mohamed Morsi - Ahmed Chafik. Un candidat des Frères musulmans et un ex-général ancien Premier ministre de Moubarak. Rien d'anormal à première vue sauf qu'il s'agit là du pire des scénarios qu'auraient eu à connaître les Egyptiens en cette occasion. En effet, pour beaucoup d'Egyptiens, les deux choix sont impossibles. Pour les uns il est impensable d'élire un ancien Premier ministre de Moubarak, la plaie est encore trop récente pour permettre au régime de revenir par les urnes. Pour les autres, il serait trop dangereux de livrer le pays aux Frères musulmans qui dominent déjà le Parlement car cela équivaudrait à un chèque en blanc pour une formation qui inquiète plus d'un, aussi bien à l'extérieur qu'en Egypte même. Les Egyptiens tiennent, comme quiconque à leur place, à ne pas se faire confisquer leur jeune révolution. Et les jours qui viennent risquent d'être difficiles, voire très difficiles. La récente attaque du quartier de campagne de l'ex-général est un avant-goût de ce que le pays risque de connaître. Aujourd'hui, c'est-à-dire, plus de trente siècles après l'ère des Pharaons, si le bon sens et, surtout, la sagesse ne sont pas de mise, il sera difficile d'éviter que survienne une autre plaie d'Egypte. Prions quand même pour que tout se passe dans l'ordre et que le sang arabe cesse enfin de couler. Inutilement! [email protected]