L'écrivaine Maïssa Bey «Je voulais avec l'écriture me fabriquer un autre moi. Aujourd'hui je parle moins de construction mais de reconstruction», confiera l'auteure sénégalaise Ken Bugul. Alors que se tenait hier soir la clôture de la 5e édition du Festival international de la littérature et du livre de jeunesse, marqué par la remise des prix au concours de la meilleure nouvelle dans les trois langues (arabe, tamazight, français), les conférences ou tables rondes allaient bon train. En effet, c'est d'ailleurs un des moments forts de ce festival, outre les concerts à Ibn Zeydoun (Houria Aïchi, trio Jobrane etc.) les ateliers de conte, de pâte à modeler et de dessin pour enfants, encadrés notamment par le caricaturiste Amine Labter et l'artiste-peintre Joe Okitawonya. La littérature-monde s'est invitée ainsi au Feliv, donnant la possibilité à des auteurs qui ne se connaissent pas d'échanger, de dialoguer entre eux et trouver pourquoi pas, des points de correspondance dans leurs écritures ou différentes expériences, découvrant ainsi son univers et son rapport au monde. La semaine dernière, deux conférences ont retenu notre attention. La première avait trait aux horizons de la littérature algérienne et animée par Saïd Boutadjine et Fadhila El Farouk, autre ecrivaine après Ahlam Mostaghanemi à vivre au Liban et qui écrit en arabe. Le premier conférencier donnera d'emblée le ton de son point de vue arguant que «la modernité importée dans la littérature est une utopie». Il citera les écrivains qu'il aime lire, ses pères spirituels qu'il refuse de «tuer», à savoir Mouloud Feraoun, Mohamed Dib (du temps où il vivait encore en Algérie), Abdelhamid Benhadouga et Tahar Ouettar entre autres, et ce pour le lien avec l'Algérie qu'ils ont tissé dans leur écriture. Il sera de rentrée de jeu intransigeant avec le reste des écrivains algériens. Entre le ney et le jazz, il confiera choisir le premier, mieux entre le rap et l'opérette, le chaâbi ou la musique amazighe! «Je cherche dans ces livres l'odeur du patrimoine, ce que je ne trouve pas généralement dans la majorité de la littérature algérienne malgré sa richesse et diversité.» Mieux, pour M. Boutadjine, l'Algérie n'a pas de chance, car sa littérature n'est pas définie, elle a commencé par exister avec Benhadouga, considéré comme le premier romancier ayant vendu jusqu'à 15.000 copies, «ce qui est impensable aujourd'hui. La littérature algérienne a perdu son public». Pour Fadhila El Farouk, l'horizon de l'écriture en Algérie s'est brisé, prenant aussi comme exemple l'ecrivaine Nina Bouraoui qui écrit pour l'autre, ne partageant pas les même idéaux que les Algériens. «Je ne vais pas pour autant la cautionner mais je respecte. Quand j'ai débuté nous étions une centaine de filles. Aujourd'hui, il en reste à peine trois, dont moi». Boutadjine n'en démord pas et dénonce ce qu'il appelle «une négation pure de la personnalité algérienne au sein de la littérature». Expliquant, en outre, que la «littérature algérienne n'est pas la littérature orientale car ne partageant pas les mêmes préoccupations». On aurait aimé vraiment connaître à ce sujet le point de vue de Maïssa Bey, elle qui déteste, pensons- nous le cloisonnement et la stratification dans la littérature. Dans un dialogue croisé avec l'auteure sénégalaise, Ken Bugul, Maïssa Bey reconnaîtra, bien au contraire, plein de similitudes dans l'écriture avec son homologue africaine du fait qu'elle partage ou continue à partager la même souffrance humaine dictée, pour l'une, par l'absence du père et l'autre, par l'absence de la mère. En effet, ayant souffert tôt de l'abandon affectif de sa mère, Ken Bugul a senti le besoin d'«évacuer» son chagrin et son mal-être en publiant De L'autre côté du regard (livre réédité par le ministère de la Culture en 2009 dans le cadre du Panaf). Comme une Maïssa Bey hantée quasiment par la figure du père que l'on retrouve dans tous ses romans, Ken Bugul (en wolof, signifie «celle dont personne n'en veut) avouera que le départ de sa mère était présent dans tous ses livres (notamment sa trilogie). Ecrire «sous un rythme d'une mélopée» est une manière pour elle de récupérer sa mère dont la nièce a essayé d'en l'usurper. «Je ne me suis jamais senti guérie de cette douleur, j'ai été isolée par l'école, souffert au sein de ma famille, mon père était fils unique, je n'avais ni tante, ni oncles, ma famille ne ressemblait en rien à l'image telle que l'on donne souvent dans des communautés africaines». Et de renchérir: «Mon livre n'était pas une histoire de fiction mais authentique. J'ai beaucoup souffert de ce désamour qu'il y avait entre ma mère et moi. C'est très bon d'expurger nos états d'âme et la littérature africaine m'a permis de les exprimer. Je voulais avec l'écriture me fabriquer un autre moi. Aujourd'hui, je parle moins de construction mais de reconstruction.» Pour Maïssa Bey qui au mot «évacuer» préfère le verbe «dira» relèvera combien l'histoire de cette femme est bouleversante dans la mesure où elle aussi a dû affronter la mort de son père, décédé alors qu'elle n'avait que six ans. «Cette absence est béante dans tous mes livres. L'affirmation de soi n'est pas spécifique aux littératures françaises ou dites européennes. Il s'agit d'un thème universel. Affirmer sa singularité est présent dans toutes les littératures» a-t-elle fait remarquer devant une assistance touchée et attentive.