L'école supérieure de musique a abrité les 18 et 19 octobre des rencontres euromaghrébines des écrivaines placées sous le générique «Récits de vie, fiction et poésie comme contribution des femmes à la pensée». Dans son allocution d'ouverture, Mme Laura Baeza, chef de la délégation de l'Union européenne, l'organisatrice de cet événement, en collaboration, du côté algérien avec l'Agence du rayonnent culturel (l'Aarc) a fait savoir qu'aujourd'hui des écrivaines algériennes, marocaines, tunisiennes et européennes viendront nous parler de «l'écriture féminine», même si le terme n'est pas très approprié, car on ne dit jamais écriture masculine de leur écriture et des messages qu'elles ont choisi d'exprimer à travers l'écriture.» Et d'ajouter: «Dans un esprit de partage et de dialogue, elles vont confronter leurs expériences. Entre fiction, réalité et poésie, elles vont aborder une partie de leur vie, un moment où elles choisissent de se rencontrer et de se livrer à nous lecteurs, sans retenue. Des femmes de différents pays, de différentes cultures et traditions viendront enrichir ce dialogue interculturel qui se veut un moyen de rapprochement entre les intellectuels de part et d'autre de l'espace commun, qui nous unit, la Méditerranée». Modérée par l'auteur de Entendez-vous dans les montagnes, Maïssa Bey, cette journée a été marquée par plusieurs interventions. Fatima Bekhaï donnera sa vision de l'évolution de la femme à travers Revivre en écriture, affirmant que «contrairement ce qu 'on pensait, les femmes n'étaient pas analphabètes». Et de faire remarquer: «Après l'Indépendance, elles ont pris le train en marche. On les trouvait dans l'éducation, puis elles ont investi tous les secteurs. Dans les années 1980, on les trouve dans le commerce et l'industrie. Plus tard, elles investiront la littérature pour dévoiler ce que autrefois était chuchoté.» Pour l'universitaire oranaise, la littérature permet d'avoir une autre approche de l'autre. «Les poétesses de grand talent qui ont contribué à la pensée, si on les admirait, on ne souhaitait pas le déploiement de leur don hors des murs de la maison. C'était une manière insidieuse et détournée de distiller toute création féminine. Cela a permis aux femmes de construire l'imaginaire». Pour Ouarda Ensighaoui Himeur, qui s'inspirera d'une phrase célèbre de Paul Eluard, déclinera le thème de sa communication par: Liberté... j'écris ton nom partant de récits de trois importantes écrivaines algériennes, à savoir Fadhma Amrouche, Assia Djebar et Malika Mokkedem dont le dénominateur commun a été de rompre avec l'écriture exotique et le cliché oriental de la littérature coloniale. «De femme-objet on est passé à un sujet producteur de discours, assumant le lourd fardeau de la transgression». Pour Fadhma Amrouche, précurseur de la littérature autobiographique, la double identité lui a permis une certaine liberté confortée par sa position privilégiée d'avoir été à l'école républicaine et laïque. L'instruction l'a délivrée de la vie paysanne», dira l'oratrice. Aussi, la littérature de Fadhma Amrouche dira «sa liberté vestimentaire, religieuse et son appartenance ethnique». S'agissant de Assia Djebar, le récit de sa vie se veut «un miroir brisé» qui se donne à lire aussi par des fragments autobiographiques contrairement à Fadhma Amrouche. Mme Himeur en prend pour exemple une phrase de son roman L'Amour la phantasia pour illustrer son propos. La liberté dans les récits d'Assia Djebar se traduit, nous souligne-t-on, par cette «rébellion en héritage, cet amour du père initiateur de la mise en écart des archaïsmes de la société. «La brisure des amarres» comme le qualifie l'oratrice, se traduira par «la transmission en pointillé de sa généalogie, ses exils et son intimité» Quant à Malika Mokkedem, la revendication de la liberté atteindra son paroxysme dans Mes Hommes (roman interdit de traduction en langue arabe par le ministère de la Culture). «La rupture» est, nous dit-on, consommée comme tentative de construction de soi par le choix d'assumer son «je» et «restituer sa personnalité» autrement sa mission qui est de dire «sa vérité». Le combat de cette auteure trouve sa continuité, fait remarquer Mme Himeur, dans sa forme de résistance contre l'obscurantisme dans toutes les sociétés qu'elles soient algérienne ou occidentale. Pour Maïssa Bey, cette communication posera crûment le problème de la rupture de l'écrivain avec le clan ou les anciens, en étant amené à se poser ces questions pertinentes: «Faut-il rompre avec le clan pour écrire?», «faut-il porter un masque?» et «faut-il s'affranchir du regard du père et de toutes les conventions sociales pour écrire?» Pour la sociologue, Mme Fatima Oussedik, qui se demandera «que font les femmes des histoires de vie?» dira cette forme d'accouchement des mots matérialisée par l'action de sortir de «La grotte». Que ce soit d'une «culture de clôture» par «la rupture des attaches», tout en indiquant, néanmoins, que «les femmes doivent être les gardiennes de la mémoire». Elle prendra comme témoins l'oeuvre de Yamina Mechakra La Grotte éclatée mais aussi le roman Ferdaous de Nawel Saïdaoui portant sur une prostitue. Evoquer la «prison» sans doute dans son acception sociale et son corollaire «l‘éclatement de l'enfermement de la grotte» ne se fait pas sans douleur, arguera- It-elle. Autre élément qui nourrit la littérature de ces femmes, dira-t-elle, est la nostalgie qui est «un chant des échanges symboliques», qui se dévoile aussi dans les écrits de Malika Mokkedem comme «un énoncé d'un préjudice subi». Pour sa part, la Tchèque Tereza Bouckova effectuera dans sa communication le parallèle entre sa vie, son roman Une raison à soi et le récit Une chambre à soi de Virginia Woolf. Un livre écrit dans la clandestinité et dans la douleur, partagé entre son désir d'être mère. Si Virginia Woolf affirmait que toute femme qui faisait une grande oeuvre n'avait pas d'enfants, ceci n'était pas une consolation pour notre Tchèque. Tereza Bouckova confiera toute sa difficulté plus tard d'être mère (elle adoptera deux enfants et en aura un) tout en se consacrant à l'écriture et ainsi son sentiment d'inutilité et de handicap l'empêchera de se lancer dans le théâtre et le cinéma. Mais, dira-elle, «tout se qu'a écrit Virginia Woolf en 1982 s'applique encore aujourd'hui, il est difficile d'écrire sans subir la pression des hommes. Il faut garder son intégrité et ne pas renier ses valeurs». Replacer les choses dans leur contexte est primordial-selon Maïssa bey pour comprendre véritablement les récits de ces écrivianes. Des tranches de vie émouvantes à plus d'un titre, fondatrices d'une belle et foisonnante littérature au féminin.