Le problème de l'Egypte se résume en une phrase. Le passif du passé constitue le paramètre de l'avenir, et les règlements de compte seraient pour un certain temps derière chaque mouvement politique, quel que soit son auteur. Le Haut conseil des Forces Armées a très bien manoeuvré pour que le succès électoral du courant islamique soit bien maîtrisé. C'est pour cette raison que j'avais qualifié les relations entre le président de la République, Mohamed Morsi et le Hcfa d'un bras de fer permanent. A la veille de l'annonce de la victoire de Morsi, le Haut tribunal constitutionnel, et contrairement à ses démarches habituelles, se précipite pour donner au Conseil militaire la possibilité de dissoudre l'Assemblée du peuple (APN) en déclarant que le choix d'un tiers de ses membres était anticonstitutionnel. Bien que la décision du plus haut tribunal de l'Egypte n'avait pas condamné directement les deux tiers de l'Assemblée dans son verdict, le Hcfa a profité de la confusion juridique pour en finir avec une assemblée de majorité islamiste. Le verdict juridique avait un parfum politique. Avec l'Assemblée du peuple en chômage, le conseil militaire obtient les pouvoirs législatifs, la haute main sur l'Assemblée constituante et surtout le contrôle absolu du budget de l'Etat. Tout cela, et avec la majorité très faible obtenue par Morsi, ferait de lui un président moins le quart. La force d'inertie de la deuxième République, ou la contre-révolution, regroupe les anciens agents du parti de Moubarak, les groupes de «assfine ya raïs» (désolé monsieur le président, Moubarak bien entendu) formés, financés et encadrés par les hommes d'affaires de l'ancien régime, et les révolutionnaires aigris par les résultats électoraux. L'attitude des nasséristes, les éléments de gauche et tous les agacés de comportement arrogant et stupide du courant islamiste a gonflé la résistance anti-Morsi. J'avais, dans un ancien papier, dessiné la carte politique de l'Egypte. Morsi me rappelle un président américain, accueilli dans ses premiers jours du pouvoir par une certaine légèreté. L'homme effacé et peu charismatique a succédé à un ténor de la politique internationale. Il s'agit du président Harry Truman, élu après la mort du président Roosevelt. Petit à petit, le nouveau président commence à montrer ses dents. Depuis la spectaculaire prestation de serment devant la foule de la place Ettahrir, Morsi n'a pas cessé d'envoyer, dans toutes les directions, des messages clairs qu'il n'a pas l'intention d'être un président qui se contenterait de l'inauguration des expositions de chrysanthèmes. Le président décide de convoquer l'Assemblée du peuple, dissoute par le Conseil militaire. Des juristes éminents ont approuvé la décision présidentielle n° 11, dont le célèbre juriste Ahmed Mekki, mais le Hcfa a agi par personne interposée, toute en invitant le président à des cérémonies militaires officielles, où il a eu les honneurs d'un chef de l'Etat. Mais cela a été une occasion rêvée pour régler le compte des «frérots». On vit un levée du boucliers des juristes, craignant en vérité une nouvelle législation les concernant, qui serait approuvé par le Parlement, habilité de nouveau par la décision présidentielle. Les medias amplifient l'écho de la contestation. L'Egypte suit avec stupéfaction le déchaînement des rédacteurs en chef de la presse gouvernementale, presse possédée, conformément à la loi, par le conseil «Ech Choura», (la haute chambre du Parlement) aujourd'hui de majorité islamiste. La force de nuisance de ce clan est très bien connue par les nôtres. La raison de la colère journalistique est très simple. C'est que le mandat de ces rédacteurs en chef arrive à son expiration ce mois- ci. C'est la chambre haute qui doit choisir les nouveaux responsables de la presse gouvernementale, dite nationale. Avec les juristes méfiants et les journalistes déchaînés, on trouve les petits partis politiques sans bases populaires réelles, qui ne manqueront pas de condamner la décision présidentielle, pour faire plaisir à qui vous savez. Ajoutons à la liste des antagonistes les votants pour le général Chafiq et tous les islamo- phobes. Certes, Morsi, par l'annulation de la décision militaire, a trouvé le terrain de lutte face à la contre-révolution, mais il doit trouver une sortie honorable, non seulement pour lui mais aussi pour le Hcfa. Sinon ça risque de tourner au vinaigre. Le fait que les députés aient été autorisés par la police de pénétrer au siège du parlement indique que le Hcfa, pour le moment, n'agit pas en crescendo. L'Assemblée du peuple s'est montrée, mardi matin, très conciliante, en insistant sur le respect du pouvoir juridique, et son intention de «geler» ses activités législatives, en attendant les résultats des plaintes déposées dans les tribunaux. En disant que l'objectif est de sauver la face de tout le monde c'était un message très clair de son président. Message au Conseil militaire de ne pas procéder à des actes qui reviennent au Parlement. Il semblerait que les islamistes de l'Egypte ont très bien compris la leçon. Mais les grands perdants sont le courant nassériste et l'ensemble de gauche, qui n'ont pas su s'adapter aux besoins du moment, et ils se sont rangés, par leur position, dans le camp du général Chafiq. Choisir entre le bon et le mauvais est à portée de tout le monde, mais les grands hommes sont ceux qui savent choisir entre le mauvais et le moins mauvais. En se rappellant les mots de Jean de la Bruyère (1645-1696): «Les postes éminents rendent les grands hommes encore plus grands et les petits encore plus petits», j'aurais voulu remplacer les mots «postes éminents» par les mots «situation grave».