Cet écrit n'émane pas de quelque plumitif courageusement anonyme, mais d'un commis de l'Etat au parcours sans faille. Benbitour revient à la charge, dans une sulfureuse lettre, dont une copie nous est parvenue. Le Premier ministre que Bouteflika a nommé à la tête du gouvernement en décembre 1999, lance un appel aux Algériens dont les propos sans fard clament haut et fort: Non! Barakat! Ça suffit ! C'est assez !! A un mandat qui n'a que trop duré: «Non à la pyromanie, non à la «fitna» et non à la désagrégation de l'Algérie», y est-il noté. La démarche de cet ancien commis de l'Etat au parcours irréprochable «refuse toute idée de ségrégation, d'exclusion ou de vengeance». Ce cri, inédit dans les annales de la politique nationale, s'inscrit selon son auteur dans l'esprit d'un Etat de droit et dans l'âme d'une société en mutation. Cet homme poussé à la démission de son poste de Premier ministre, le 10 août 2000, pour le seul délit d'avoir refusé que des lois sur la privatisation soient décidées par le président sur ordonnance au lieu d'être votées par les députés, ne manque pas de relever, justement dans ce document explosif, que la nation traverse une situation des plus graves: «nous vivons sous un totalitarisme d'une autre ère, s'appuyant sur le culte de la personnalité, le mépris du peuple et la profanation permanente de la constitution et de ses institutions (...) sans volonté aucune d'opérer ou d'accepter le changement, l'actuel pouvoir conduit le pays inéluctablement vers un blocage généralisé et une quasi-paralysie, à un moment, où l'Algérie dispose de tous les atouts pour un décollage économique et une stabilité politique». Le déferlement de la diatribe de Benbitour ne s'arrête pas là il dénonce l'irrationnel, l'illusoire «et le perfide!» dont est victime le pays du fait «d'apparatchiks rentiers, sectaires et régionalistes, d'intégrismes plus intolérants les uns que les autres, de politicards pathologiquement intrigants, hermétiques à la transparence, à l'évolution et aux valeurs universelles». Fondant de réels espoirs sur l'échéance électorale d'avril 2004, Ahmed Benbitour qui s'adresse aux Algériens dans le souci «de mettre fin à la pyromanie et à la désagrégation de la nation», juge que la prochaine élection présidentielle peut être le début de solutions durables et d'«un système nouveau fondé sur la rationalité, l'efficacité, la clairvoyance et la bonne gouvernance, pour peu que les Algériens s'appuient sur une vision qui consacre la libération du sous-développement et de la dépendance». Décrit comme technocrate et plutôt sans affiliation partisane précise, Benbitour fonde pourtant de réels espoirs sur cet important rendez-vous politique en estimant que cette élection fera de ce qui est aujourd'hui souhaitable mais apparemment impossible, une alternative réelle. Plus loin l'auteur de l'appel ne manque pas d'évoquer l'idée d'«un Manifeste qu'il compte proposer à l'opinion dans les toutes prochaines semaines». Pour l'anecdote, rappelons que Benbitour, alors qu'il était au gouvernement recevait une lettre «musclée» d'un homme d'affaires émirati, ami du président, qui dit ne pas comprendre que l'administration algérienne en est toujours à s'attarder au respect des procédures légales de passation de marchés aux dépens d'investisseurs arabes; aujourd'hui il appelle les citoyens pour dire aux violeurs de la Constitution et des institutions républicaines: «Non! Ne touchez pas à notre Constitution payée du sang de nos martyrs d'octobre». Mais aussi: «Aux mercenaires contre le peuple: non! l'Algérie ne tombera pas entre vos mains!»