L'Expression: Pensez-vous que les idées et l'exemple de Abane Ramdane sont toujours d'actualité? Mohamed Chafik Mesbah: Les idées et le parcours de Abane Ramdane sont, plus que jamais, d'actualité. Sur le plan doctrinal, en premier lieu Abane a fait adopter par le Congrès de la Soummam le principe de la primauté du politique sur le militaire. C'est indiscutablement, la clé du fonctionnement d'un système démocratique. L'idée est simple. La force militaire ne doit pas se substituer à la volonté populaire. L'armée doit être donc l'instrument d'exécution d'un projet politique, pas la source de ce projet. L'abandon progressif de ce principe, un an à peine après le Congrès de la Soummam, a conduit au dévoiement de la Révolution dont nous mesurons les effets jusqu'à ce jour. Sur le mode opératoire, Abane Ramdane avait, rapidement, compris qu'un processus révolutionnaire devait viser à rassembler toutes les forces potentiellement alliées et à se doter d'un socle doctrinal avec un encadrement performant, le tout mobilisé en perspective de la victoire. La fin tragique et prématurée de Abane Ramdane ne lui a pas permis de conduire à terme la démarche. Quels sont les facteurs qui prédisposaient, selon vous, Abane, comme le leader incontestable de la guerre de Libération nationale? Le niveau intellectuel en premier. Abane Ramdane, rappelons-le, était bachelier. Ce n'était pas rien pour l'époque. Abane Ramdane avait, également, approfondi ses connaissances politiques à travers la lecture d'ouvrages de référence, alors qu'il était détenu en France. L'expérience militante, ensuite. Militant de base puis responsable local, Abane Ramdane a été au cours de son parcours au sein du PPA-MTLD en contact avec des cadres aguerris. Il a, aussi, encadré des structures de l'OS, fer de lance du PPA-MTLD. Il y a enfin son endurance physique et psychologique. Abane Ramdane a résisté, avec témérité, à la torture lorsqu'il fut arrêté, aux privations subies en prison, où il observa une grève de la faim mémorable, et aux dures conditions de clandestinité, après qu'il eut rejoint le FLN. Ajoutez, naturellement, à ce tableau son attachement passionné qu'il portait à l'Algérie dont la libération nationale valait à ses yeux tous les sacrifices. Quel est, selon vous, l'apport principal au succès de la Révolution par Abane? Au plan doctrinal, il a doté la Révolution à travers la plate-forme du Congrès de la Soummam, d'un cadre politique et idéologique de référence, qui a permis de rassembler toutes les forces vives du peuple algérien. Au plan organisationnel, il a doté la Révolution à travers le Congrès de la Soummam, d'un modèle et de structures civiles et militaires qui subsisteront jusqu'à la fin de la guerre de Libération nationale. Au plan opératoire, il a largement contribué - en incluant au sein du Conseil national de la Révolution algérienne leurs représentants- toutes les composantes du Mouvement national sans exclusive. Jamais depuis lors, un quelconque épisode du processus révolutionnaire en Algérie n'a surpassé, en substance et en impact, les épisodes qui viennent d'être évoqués. Quel lien est-il possible d'établir entre l'oeuvre et le parcours de Abane Ramdane avec les révolutions arabes? Sans porter de jugement de valeur sur ces soulèvements, il apparaît, cependant, que l'exemple de la Révolution algérienne est plus dense en substance historique et sur le plan des modalités opératoires. Mettant à part les déboîtements qui ont marqué le cours de la Révolution algérienne, dotée d'un projet politique-la plate-forme de la Soummam et l'instauration d'une direction appropriée- le Cnra, le CCE auquel s'est substitué le Gpra-ont permis à la Révolution algérienne de parvenir à la victoire. Dans le cas des soulèvements arabes actuels, c'est le caractère de spontanéité qui domine avec l'absence de vrais projets politiques et défaisant en structure plurielle de directions efficaces. Comme il faut raisonner en contexte, il faut admettre que la Révolution algérienne et les soulèvements populaires actuels du Monde arabe ne se situent pas à la même échelle historique. Au demeurant, un constat s'impose: il leur manque un Abane Ramdane, combinant entre la capacité du visionnaire politique et celle du responsable organique agissant sur le terrain. Pourquoi Abane a été assassiné? La réponse coule de source. Il voulait, dans la continuité du Congrès de la Soummam, que les dirigeants du CCE, à commencer par les chefs militaires, rejoignent les maquis de l'intérieur. D'autre part, Abane, se méfiant du niveau de connaissance sommaire des chefs militaires, pressentait que ses compagnons étaient non pas des chefs révolutionnaires, mais, des «potentats». N'ayant plus d'influence sur le potentiel de guerre de l'ALN dont il avait été éloigné, Abane était promis de fait à une mort certaine. Il ne faut pas avoir peur de mettre une observation complémentaire, Abane est issu de la Kabylie et n'avait pas, cependant, de prétention à assumer ses origines. A l'époque, les anti-kabylistes étaient une maladie du Mouvement national. Que vous inspire l'exemple de Abane Ramdane? Abane Ramdane est une véritable icône dans l'imaginaire du peuple algérien. Précisons du peuple algérien dans sa globalité, pas les seuls habitants de la Kabylie. Abane Ramdane n'est pas un patrimoine régional, c'est un patrimoine national. Il faut espérer que de véritables recherches académiques lui soient consacrées et couronnées par des colloques scientifiques. J'ai fait part au Dr Abane Belaïd, son neveu, de ma disponibilité à contribuer à cette tâche.