Santiago Carrillo, un communiste qui a donné à l'Espagne de dépasser sans heurt la sombre période franquiste Mardi soir, le roi Juan Carlos, 74 ans, s'était rendu en personne, accompagné de la reine Sofia, au domicile de Santiago Carrillo, avant de saluer «une personne fondamentale pour la transition.» Saluant son rôle essentiel dans le passage en douceur à la démocratie en Espagne, des centaines de personnes se sont recueillies hier à Madrid, dans un calme respectueux, devant la dépouille de Santiago Carrillo, dirigeant communiste historique mort à 97 ans. «C'est une figure qui a été essentielle pour que nous puissions jouir des droits dont nous disposons aujourd'hui», explique Alberto Gutierrez, chômeur de 30 ans qui attend de pouvoir entrer dans la chapelle ardente dressée dans les locaux du syndicat Ccoo. «Je voulais dire adieu à celui que je considère comme le père de notre Constitution», adoptée en 1978, trois ans après la mort du dictateur Francisco Franco, ajoute-t-il. L'Espagne s'est réveillée, hier, avec le regard vif derrière ses épaisses lunettes de cette figure historique, l'une des dernières de la transition démocratique, occupant tous les médias. Secrétaire général du Parti communiste espagnol de 1960 à 1982, défenseur de l'eurocommunisme face à l'Union soviétique, Santiago Carrillo aura traversé l'histoire de son pays depuis la Guerre civile (1936-39) jusqu'à la transition, période charnière qui a suivi quarante ans de dictature franquiste. Avec lui disparaît «l'unique Espagnol ayant eu un rôle de premier plan à ces deux endroits, dans le feu de 1936 et dans l'eau de 1977», l'année des premières élections législatives de l'après-franquisme, écrit le journal de Centre droit El Mundo. Dans la file d'attente, des anonymes de tous âges discutent discrètement, certains achetant des roses rouges tandis que des livreurs de couronnes de fleurs s'engouffrent dans l'auditorium où repose sa dépouille, dans un cercueil ouvert flanqué des drapeaux communiste, espagnol, européen et madrilène. Les personnalités politiques se succèdent aussi: dirigeants syndicalistes, de partis de tous bords. Mardi soir, le roi Juan Carlos, 74 ans, s'était rendu en personne, accompagné de la reine Sofia, au domicile de Santiago Carrillo, avant de saluer «une personne fondamentale pour la transition». Le chef du gouvernement de droite, Mariano Rajoy, a souligné son rôle «de premier plan pendant la transition». Santiago Carrillo a été critiqué toute sa vie durant pour la mort de milliers de prisonniers franquistes dans la localité de Paracuellos del Jarama, près de Madrid, en 1936, alors qu'il était jeune responsable républicain de la défense de la capitale, en pleine guerre civile. Il s'est toujours défendu en assurant ne pas avoir eu alors à sa disposition de forces capables de résister à des «groupes incontrôlés». Mais c'est la force de son compromis, acceptant de construire avec un ancien dirigeant de la dictature franquiste, Adolfo Suarez, la nouvelle démocratie, que tous soulignaient hier. Premier chef de gouvernement de la démocratie, Adolfo Suarez est aujourd'hui âgé de 80 ans et malade. «Nous jouissons de libertés grâce aux gens qui ont participé à la transition vers la démocratie et Carrillo fut l'un d'eux, comme Adolfo Suarez et le roi», affirme Javier Martinez, 18 ans, venu avec son père et sa soeur. Francisco Garcia, préretraité de 59 ans, évoque son «grand courage». «Il a été extrêmement important à l'heure de la réconciliation, il a su atténuer de nombreux différends», explique-t-il. «Avec Adolfo Suarez, ce sont les deux personnalités les plus importantes de la transition en Espagne, qui ont rendu possible qu'elle soit pacifique». Les deux hommes sont aussi entrés dans l'histoire pour avoir été les seuls députés, avec l'ancien militaire Manuel Gutierrez Mellado, à ne pas s'être couchés au sol lors de la tentative de coup d'Etat de février 1981 au Congrès des députés. L'image d'Adolfo Suarez et de Santiago Carrillo, dressés sur leur sièges de députés malgré les salves de balles tirées au plafond par les putschistes, illustre de manière frappante l'engagement commun des deux anciens ennemis.