Il restera le maître incontesté du chaâbi El Hadj n'avait que faire des couronnes et des auréoles, un homme légendaire pour qui les valeurs humaines ne se marchandent pas. Une conception qui a du mal à perdurer en ces temps. C'est le 23 novembre 1978 que s'est éteinte la voix du Cardinal El Hadj M'Hamed El Anka. Créateur incontesté de ce genre particulier de musique populaire qu'est le chaâbi lequel tire son origine du moghrabi dont le maître fut cheikh Mustapha Nador. Sous la tutelle émerveillée de ce dernier qui a témoigné de l'engouement et de l'élégance certaine chez le jeune M'hamed El Anka, âgé tout juste de treize ans, en lui proposant de sillustrer au tar (tambourin) au sein de son orchestre. Ce même jeune homme, qui grandira sous le signe du génie et de talents pluriels en se frottant déjà aux grands noms du milieu artistique à l'exemple de Kehioudji, demi-frère de Hadj Mrizek qui le reçoit en qualité de musicien à plein temps au sein de son orchestre. Suivant les cours prodigués par Ahmed le cheikh Sid Ali Oulid Lakehal, enseignement qu'il suivit avec assiduité jusqu'à son terme. Ce même personnage haut et droit, avec d'étonnantes capacités d'apprentissage et des dons multiples en la matière. Cet homme, qui a pris à coeur son art en s'imprégnant des poèmes et ne faisant qu'un seul corps avec eux dans une harmonie exceptionnelle, autrement dit, tout ce dont rêvent tout grand poète et interprète, à savoir épouser entièrement le poème (qacida) qu'il exécute. Lui, le Cardinal, dépositaire d'une force pérenne qui a traversé tous les âges, tout autant que les q'cid qu'il a marquées de sa voix nonchalante et de son interprétation ondoyante. D'El-Hmam, Soubhane Ellah Yaltif et d'autres poèmes édifiants. Il a interprété près de 360 poésies et produit environ 130 disques. Après Columbia, il réalise avec Algeriaphone une dizaine de 78 tours en 1932 et une autre dizaine avec Polyphone. Une popularité favorisée par les moyens modernes du phonographe et de la radio le consacre. Le Cardinal est au-devant de la scène, et ce à travers tout le territoire national et même au-delà, notamment en France. Cet homme qui se retrouva seul dans le répertoire medh après la mort du grand cheikh Abderrahmane Saïdi. Un répertoire dans lequel il s'est merveilleusement illustré en s'imprégnant de diwan et de textes anciens transmis oralement de génération en génération, faisant ainsi figure de protecteur d'une grande richesse spirituelle et culturelle. Sans oublier qu'il s'est également essayé à la chanson kabyle avec quelques oeuvres dont la plus célèbre s'intitule A mmi âzizen (Ô, cher fils). Mais c'est aussi grâce à son orchestre qui a été l'une des plus prodigieuses formations, notamment grâce à l'appui de Abderrahmane Guechoud, Kaddour Cherchalli (Abdelkader Bouheraoua décédé en 1968 à Alger), Chabane Chaouch à la derbouka et Rachid Rebahi au tar en remplacement de cheikh Hadj Menouer. L'authenticité et l'innovation ont été les maîtres mots lorsqu'on évoque EI Hadj El-Anka, à travers sa technicité musicale et son approche interprétative qui constituent la note de fraîcheur introduite dans une musique réputée monovocale ne répondant plus aux goûts exigeants des amateurs de l'époque. Un jeu instrumental plus vibrant et plus vif, allégé de sa pointe vocale toute singulière et chargée d'émotion. Une façon inédite daccorder la litanie au service du verbe. «Après plus de cinquante ans au service de l'art, El Anka animera les deux dernières soirées de sa carrière jusqu'à l'aube, en 1976, à Cherchell, pour le mariage du petit-fils de son maître cheikh Mustapha Nador et, en 1977, à El-Biar, chez des familles qui lui étaient très attachées» selon la biographie mise en ligne sur webchaiibi. Faut-il le rappeler, El Hadj n'avait que faire des couronnes et des auréoles, un homme légendaire pour qui les valeurs humaines ne se marchandent pas. Une conception qui a du mal à perdurer en ces temps, mais n'est-ce pas en se rappelant cette voie éducatrice, cette vertu des vrais hommes que nous devons emprunter pour avancer le plus dignement possible, dans le respect et l'intégrité sans pour autant se laisser avaler par l'insolence et la vanité de cette époque? Autre chose, est-ce une initiation? Une valeur propre à des êtres initiés par une parole éthique qui n'est pas l'apanage du commun des hommes et plus particulièrement celle des amateurs de gloriole. Le chaâbi, El Anka l'a sorti des cafés et des endroits sombres pour le hisser vers la lumière d'un public plus large. Mais le chaâbi survit aussi dans les sous-sols de la capitale, dans les qâadate secrètes, un esprit d'avant-garde et d'initiation mystique. Dans les deux cas, na-t-on pas déjà oublié une part essentielle de cette musique en tentant en vain de ridiculiser cette vieille manie de respecter toute chose et ce geste précieux des mélomanes et autres férus «dawakine» sous prétexte que nous évoluons dans un monde de vitesse et de richesses à dévorer pour être plus malin. Une chose est sûre, c'est qu'El Anka est resté avec son inspiration et une conscience du droit chemin dans les coeurs et dans les mémoires après un siècle et n'est pas prêt à en disparaître, tant il y a déjà des enfants du chaâbi, de l'Alger idyllique et sublimée, qui perpétuent la tradition et les bonnes valeurs.