pour témoigner d'une réalité historique, aucun talent n'est indispensable, car la Vérité éclate de son propre talent. Daho Djerbal, dans son ouvrage L'Organisation Spéciale de la Fédération de France du FLN (*), nous démontre clairement que lorsque les acteurs d'un événement historique se placent au-dessus de leurs ambitions personnelles pour servir une cause supérieure, et que leurs faits et gestes sont prouvés par une suite de chaînes ininterrompues de confirmations - elles-mêmes vérifiées -, toute suspicion est légèreté, non sens, peut-être même, intentionnellement malveillance. Sans doute, faut-il reconnaître qu'en ce Cinquantenaire de l'indépendance, où des occasions de se former quelque gloire ne manquent pas, des auteurs inattendus ont surgi, produisant une opportuniste marée de publications sous la couverture de «Mémoires». Leurs tentatives diverses, généralisées et souvent non dénuées d'arrière-pensées politiques, nous ont néanmoins brouillé le regard et parfois déréglé l'intelligence, tant aussi les déclarations de certains acteurs, habituellement soucieux de l'honneur de leur crédibilité, nous ont conté, dans des récits de vie incroyablement parsemés d'invraisemblances, leur super héroïsme. Un éclairage le plus approprié Ici, dans son travail qui consiste à donner «la parole aux principaux acteurs» de l'Organisation Spéciale de la Fédération de France du FLN, le rôle de l'auteur, Daho Djerbal, est de la nature qui nous éveille au mérite du chercheur absolu. En effet, sa préoccupation essentielle d'historien algérien formé et attaché aux études savantes, exercé à l'écriture de l'histoire nationale, rompu à la critique sociale, est, me semble-t-il, assez vigilant pour circonscrire les «petites vérités» et, disons-le franchement, les «petits mensonges» qui se glissent dans les intentions parlées ou écrites dans le domaine brut de la recherche historique. En lisant le travail de Daho Djerbal - et l'on apprend qu'il a été commencé avec l'enthousiasme de la rencontre «des centaines de militants nationalistes» organisée par feu le président Chadli Bendjedid, le 1er novembre 1984, sous le grand chapiteau de Club des Pins, il est aisé de constater que l'historien n'est pas ici un simple auditeur de la parole de l'acteur-témoin. Il n'est pas, non plus, «en dehors» de la pensée de son interlocuteur ou du tracé que lui présente un document écrit d'origine, - d'où les nombreuses références annotées dans le livre et qui se veulent «Preuves» de l'information fournie au lecteur. Cela est encore plus évident dans un ouvrage, comme celui-ci, qui est destiné à restituer «la parole des principaux acteurs qui, par leurs témoignages, apportent des éclairages sinon des faits que, ni les rapports de la Fédération de France du FLN, ni ceux de la police française, n'ont révélés». Au reste, Daho Djerbal a eu à déclarer, à raison, ailleurs: «Le témoignage et les mémoires apportent de la substance, qui est celle de l'existentiel. C'est-à-dire comment l'acteur a vécu l'événement. Il peut apporter des détails qui ne sont pas dans les travaux de recherche. Ils enrichissent les travaux de référence. Mais cela a une limite. Car, souvent, et pour des raisons toujours actuelles, certains témoins ne veulent pas déranger des personnes, des pouvoirs en place, des idées reçues ou des tabous en parlant de choses qui ont été faites, dites ou pensées à l'époque.» Ainsi donc, Daho Djerbal, Maître de conférence en histoire contemporaine au Département d'Histoire, Université d'Alger 2 et, depuis 1993, directeur de la revue Naqd, essaie de donner un éclairage le plus approprié à la connaissance de l'Organisation Spéciale de la Fédération de France du FLN; en somme, il se propose de nous présenter l'«Histoire de la lutte armée du FLN en France, entre 1956-1962». Cet aspect de l'histoire de notre lutte de libération en France est peu connu, indépendamment de ce que nous avons pu apprendre dans le riche et incontournable ouvrage La VIIe Wilaya d'Ali Haroun, par exemple ou dans les diverses publications de Mohammed Harbi et articles de militants nationalistes algériens. Un exemple de recherche L'ouvrage qui nous intéresse ici est une quête minutieuse de la réalité physique, morale et bien sûr politique de la Fédération de France du FLN. Il se veut, en filigrane, en quelque sorte dynamique d'une mise au point entre histoire et mémoire et, tout particulièrement, enseignement pour tous les Algériens qui éprouvent le besoin légitime de connaître leur histoire et, par parenthèse, qui ont aussi le droit de contribuer à son écriture en recueillant ce qui reste de mémoire chez les citoyens vivants. L'important est d'être le plus sûrement possible dans la réalité des faits historiques. Une erreur, un contresens, une appréciation non contrôlée, et nous voilà dans l'innommable, dans l'absurde mortel. Il faut laisser la place à l'historien et promouvoir les résultats de ses recherches. Gardons-nous des manoeuvres et des manoeuvriers, notre Histoire est aussi notre histoire personnelle, à la fois fondamentale, structurée, évolutive et permanente. J'y vois un bel exemple de sa présentation par l'exemple de recherche que met sous nos yeux Daho Djerbal qui est historien de profession, non professeur d'histoire. Son ouvrage compte huit parties dans lesquelles se déroule une efficace démonstration pédagogique de l'Organisation de la Fédération de France du FLN (Histoire de la lutte armée du FLN en France, 1956-1962). Je note: - Le contexte historique et politique. - L'organisation spéciale. - Les réseaux de soutien au FLN. - Les hommes et les femmes de la Spéciale. - Les thèmes récurrents de la prise de conscience nationaliste. - L'action. - Les retombées (La riposte des forces françaises de sécurité, La détention, Le quartier des condamnés à mort...) - Changements de cap et reconversions. - Le long chemin du retour (L'exil aux frontières, Le retour au pays, Rentrer dans les rangs,..). Suivent des Annexes utiles, une chronologie suffisamment détaillée et un index des noms complet, mais manque, peut-être, une bibliographie en plus des notes et références en bas de page. Un sous-chapitre, parmi tant d'autres excellents en information, est intitulé «La difficile intégration», reste encore quelque peu dans les mémoires comme un lancinant souvenir douloureux de la guerre, autrefois devoir pour gagner la paix. Oui, la paix, la paix pour l'honneur, la paix diluée dans le silence et l'oubli... Et ce livre, inspiré par Atta Allah Dhina (défunt collègue de Djerbal), auquel ont contribué des militants de la Spéciale, interrogeant inlassablement le temps, les faits et les hommes, tente de remettre à l'endroit le rôle historique des membres de l'Organisation Spéciale de la Fédération de France du FLN. Il est surtout marque de fidélité au projet commencé, en 1984, par le regretté Nacereddine Aït Mokhtar dit «Madjid», adjoint direct de Rabah Bouaziz dit «Saïd», membre du comité fédéral et responsable désigné de la Spéciale. La question évidente, récurrente, se rapporte à ceci: «L'Organisation Spéciale de la Fédération de France du FLN était-elle une organisation civile ou une organisation militaire? [...] OCFLN ou ALN?» Daho Djerbal a fait de son travail de recherche, d'analyse, de mise au point et de conclusion, un sain document pouvant légitimement contribuer à «l'écriture de l'histoire». Dois-je dire, à chacun de nous, combien il est important de lire L'Organisation Spéciale de la Fédération de France du FLN (Histoire de la lutte armée du FLN en France [1956-1962°]) de l'historien Daho Djerbal? Oui, j'y tiens: lisez-le! (*) L'Organisation Spéciale de la Fédération de France du FLN de Daho Djerbal, CHIHAB EDITIONS, Alger, 2012, 446 pages