Un homme d'idées et d'engagement En venant présenter hors compétition son film Le Capital dans le cadre du Festival international d'Alger, Costa-Gavras, était là pour soutenir et promouvoir l'action cinématographique algérienne. Homme d'engagement et d'idées, le réalisateur de Z, de Missing et de Mon Colonel, nous évoque dans cet entretien, ses rapports avec l'Algérie, son cinéma et son histoire. Entretien avec un cinéaste totalement engagé dans les causes justes. L'Expression: Nous sommes dans la perspective d'un Festival du film engagé, comment expliquez-vous qu'il n'existe pas beaucoup de réalisateurs dans le monde qui s'engagent politiquement dans des causes, nous avons ainsi Oliver Stone, Ken Loach, Youssef Chahine et vous? Costa-Gavras: Il faut faire un sondage et envoyer quelqu'un demander à tout le monde pourquoi ils ne s'engagent pas politiquement. Je ne sais pas en fait. Vous savez, l'engagement politique c'est aussi un long travail. On ne peut dire que demain on s'engage politiquement, mais on n'est jamais sûr de son coup, on peut toujours dire des bêtises sur le plan politique. C'est plus confortable de faire des films différents, on gagne bien sa vie et puis on est tranquille, on ne prend pas de coups ou on n'en prend moins. Mais ce n'est pas une explication en tout cas. Mais au-delà des films et des histoires, il y a surtout un engagement politique du réalisateur. Parce qu'on a envie de parler d'une manière différente de ce qui se passe dans notre société, d'une manière beaucoup plus directe. Il y a une phrase formidable de Kafka concernant la littérature, qui dit «la littérature c'est un coup de poing dans la gueule du lecteur». Et quand on lit Kafka, on sent ça et je pense que le cinéma devrait être cela. Ça fait des dégâts. Je pense qu'il est important de traiter certains sujets dans la société avec la violence des mots, comme lorsqu'on dit «moi je déteste ça!» ou «qui il était l'homme politique, le policier ou le juge.» Donc, il faut transporter cela au cinéma et on appelle cela engagement politique. Je voudrait revenir à vos origines grecques et vous parler d'un réalisateur, Théo Angelopoulos, qui selon une certaine presse s'est suicidé après avoir reçu un appel des producteurs lui annonçant qu'il n'y a plus d'argent pour terminer son film. Comment réagissez vous à cela? Je pense que c'est un accident et que Théo, que je connais très bien, ne s'est pas suicidé. Ce n'était pas un suicidaire, c'était un battant. Il a toujours eu des problèmes pour financer ses films, mais il s'est toujours débrouillé. Je pense qu'il a eu dans ce sens une sorte de stress, qu'il ne faisait pas attention. Je vais vous raconter: J'étais à Londres, une semaine après la mort de Théo et j'étais dans la rue pour faire des repérages pour mon film. Je traversais la rue en pensant qu'il n'y avait pas de voitures. Mais à la dernière seconde, on m'a attrapé parce qu'une voiture était venue à vive allure et aurait pu me tuer de la même manière. Ça peut être une chose comme ça, une mauvaise attention. C'est pourquoi je suis sûr de ce qui s'est réellement passé, parce que Théo n'était pas quelqu'un de suicidaire. Est-ce que vous avez pensé à lui rendre hommage et faire quelque chose: un film ou quelque chose qui puisse rappeler son cinéma qui est très politique d'ailleurs? Angélopoulos faisait un cinéma tout à fait personnel et inimitable. On pense lui rendre hommage à la Cinémathèque de Paris et faire une rétrospective complète. La meilleure façon de lui rendre hommage, c'est de montrer ses films ou faire un documentaire sur lui et expliquer qui il était et montrer sa façon de travailler. Je pense que le meilleur hommage pour un metteur en scène, c'est montrer ses films. Vous savez que l'Algérie a fêté en 2012, le 50e anniversaire de l'indépendance: à votre avis, vous qui connaissez bien le cinéma algérien, quels sont les films qui ont marqué les 50 ans du cinéma algérien. Ce qui m'a marqué, c'est que l'Algérie qui sortait du néant, sans passé cinématographique, 5 ou 6 ans après son indépendance, a créé un cinéma national et fait des films qui ont été primés partout dans le monde, à Cannes, à Hollywood et depuis quelques années, il n y' a plus de films qui sortent. Et ça manque. L'Algérie était un exemple pour toute l'Afrique à l'époque. Vos leaders avaient une volonté formidable, nous avons produit avec Michèle des films à l'époque et on en produira encore. Le cinéma algérien ne manque pas de talents. Ils sont là. Il y a eu des problèmes avec la guerre civile, durant des années qui ont freiné cet état d'esprit. A mon avis l'Algérie doit avoir son cinéma, parce que les talents sont là: j'en suis convaincu. L'Algérie possède les financements nécessaires, elle a les talents appropriés, qu'est-ce qui manque à votre avis pour justement lancer la renaissance du cinéma algérien? Le cinéma est un ensemble, il faut avoir des salles et actuellement il n'y a plus de salles. Donc il faut réouvrir les salles, parce qu'il y a un public. L'Oncic avait fait un travail formidable dans le passé. Il faut créer une sorte d'Oncic, qui soit aidé par l'Etat et par d'autres opérateurs et qui règle tout pour que le cinéma algérien puisse se faire. Lorsque vous avez réalisé Z, vous avez été soutenu par Boumediene qui vous a offert tous les moyens pour faire ce film. Boumediene a dit oui, mais c'était Benyahia à l'époque qui était ministre de l'Information, qui avait montré le chemin. Nous avons monté le projet du film Z et nous n'avons pas trouvé le lieu et les producteurs pour accompagner le projet. Suite à quoi, j'ai appelé Jacques Perrin et je lui ait dit: «Je ne peux pas faire le film» car je n'ai pas le lieu pour le tourner. Il m'a dit «Est-ce qu'on pourrait tourner en Algérie?». Je lui ai répondu: «Je ne connaîts pas l'Algérie.», il m'a dit: «Moi je connais, laisse-moi faire.» Il avait tourné un documentaire et il avait de bonnes relations et des amitiés. On est venu, on s'est baladé partout, mais j'ai demandé est-ce qu'ils accepterons de faire ce film? Le lendemain, on a donné le scénario à Benyahia, qui a consulté le président Boumediene. Le surlendemain il est revenu, il nous a dit, nous n'avons pas d'argent pour financer le film, mais nous mettons à votre disposition notre structure Oncic et vous pouvez tourner là ou vous souhaitez. C'est comme ça qu'on a pu tourner le film en Algérie. C'était une aventure formidable. Raoul Coutard, qui était un homme de droite, apprenait aux stagiaires algériens certaines techniques, comment utiliser notamment le travelling. On a bloqué le centre-ville pendant des jours et des nuits, même les gens qui ont travaillé sur ce film pour la première fois sont devenus de bons techniciens. Ils ont très vite appris. Les talents sont là, il faut mettre un peu d'eau pour que ça pousse. Après Z, vous êtes revenu en Algérie pour tourner Mon Colonel..... Oui, je regrette d'ailleurs de ne pas avoir eu les droits pour faire moi-même le film, parce qu'il aurait été mieux. Parce que le scénario était bon mais la mise en scène était un peu...molle. Vous êtes revenu tourner le film en Algérie à une époque où le pays venait de sortir du terrorisme. Est-ce que c'était important pour vous de venir tourner le film en Algérie, plutôt qu'au Maroc ou en Tunisie? Absolument. Beaucoup de personnes m'ont dit: «Allons tourner le film au Maroc», j'ai dit non. Pas question d'aller au Maroc. Je suis venu ici, j'ai vu le président et on lui a expliqué ce qu'on faisait, il a accepté et a dit oui, vous pouvez venir tourner ici. C'est vrai, quand on voyageait on avait toujours une escorte. Une fois même on a perdu l'escorte, on a fait 50 km sans escorte et quand elle est arrivée, ils nous ont dit vous êtes fous...(rire) Donc c'est important pour vous d'aller tourner sur les lieux de l'histoire. Absolument, c'était absurde d'aller tourner une histoire sur la Guerre d'Algérie sur un autre territoire. Ça n'avait aucun sens. On a fait de même pour le film qu'on avait produit Cartouches Gauloises de Mehdi Charef et qui a été tourné en Algérie. Suite à vos deux films sur la Guerre d'Algérie, il y a eu la conclusion d'un accord de coproduction entre l'Algérie et la France et on a énormément cité le cas du film Mon Colonel concernant le lecture du scénario par le ministère algérien de la Culture. Etes-vous d'accord pour avoir un regard parallèle sur le scénario des deux côtés surtout en ce qui concerne l'histoire et plus précisément la Guerre d'Algérie, car parfois la vision est différente des deux rives de la Méditerranée? Pas parfois, elle est souvent différente. Les Français n'avaient pas raison de faire la guerre aux Algériens. Concernant la lecture par le ministère de la Culture, ce n'était pas une censure, c'est plutôt un recadrage des faits, c'était des professionnels, on nous a dit ceci cela ne s'est pas passé comme ça, ceci était comme ça etc.... Je ne sais pas comment ça se passe avec les autres productions, mais avec nous, ça s'est passé très bien. Vous comptez produire un film sur la tragédie nationale en Algérie. Est-ce que c'est très important pour vous de faire ce film? Oui très important, et je compte d'ailleurs pour bientôt. J'attends que le scénario soit finalisé pour donner mon opinion déjà. J'aimais beaucoup le livre et le premier travail qui a été fait. C'est rare que des producteurs français s'intéressent à la tragédie nationale en Algérie, c'est une période mal exploitée ou mal explorée. Moi, je me suis intéressé, dans le passé, à un projet qui n'avait pas abouti. J'ai trouvé que c'est injuste de rater cela, le film devrait être tourné en Algérie avec des comédiens locaux et le parler arabe sur l'histoire d'un jeune qui monte au maquis. Le sujet était un peu difficile, mais par contre là, nous avons un sujet très net, plus facile à adapter et expliquer, qui est sur le point d'aboutir Je voudrais revenir sur les films qui parlent de la Guerre d'Algérie. Est-ce que vous pensez que le thème reste un sujet tabou et toujours censuré en France? Il est vrai que certains Français n'iront pas voir un film qui parle de la Révolution algérienne. Ça c'est sûr. Mais, par ailleurs, il y a aussi un public qui est prêt à aller voir un film sur cette période. Je pense que si c'est un beau film, ils iront le voir. Mais il y a eu trois films importants sur ce sujet, comme Mon Colonel, L'ennemi intime de Florent Siri et surtout Hors-la-loi de Rachid Bouchareb qui ont été presque ignorés par les spectateurs. Je ne vais pas être un critique, mais comme spectateur, je pense que quand on fait un film, c'est un spectacle, ce n'est pas une thèse universitaire et ce n'est pas un discours politique. Je vais au cinéma pour avoir des émotions, pour avoir comme je vous disais le poing dans la gueule. Je peux parler pour le film Mon Colonel, parce que j'ai vu faire et je ne pouvais pas intervenir, parce qu'il y a un metteur en scène et je respecte aussi les autres je ne sais pas. Il faut penser au spectateur. Surtout qu'aujourd'hui, le spectateur a de nombreuses façons de voir un film. Il y a des chaînes de télévision, des DVD, des spectacles. Donc il faut essayer de le surprendre, de lui balancer quelque chose dans la gueule.