Seule une stratégie d'ensemble, un bouquet énergétique, mais surtout une sobriété énergétique, nous permettront de conjurer les périls «Le destin de l'Algérie ne peut et ne doit se décider qu'en Algérie si le savoir est sollicité» L'Association Algérienne de l'Industrie du Gaz (AIG) a organisé les 19 et 20 février 2013 à l'hôtel Sheraton le 4e symposium de l'AIG sur le thème: «Le gaz naturel, énergie du 21e siècle: une transition à réussir». Déjà dans une intervention de préparation du symposium le président de l'AIG déclarait: «Depuis notre troisième symposium, l'industrie mondiale du gaz a subi de très profondes mutations tant sur le plan national à travers l'instauration d'un nouveau cadre législatif et réglementaire, que sur la scène internationale où l'on observe une globalisation des marchés, l'apparition de nouveaux acteurs, l'émergence de nouvelles technologies, un nouvel environnement économique marqué par une crise économique mondiale profonde, l'émergence d'un nouveau cadre de réflexion initié par les pays exportateurs et bien d'autres changements encore.» «Sur les dix dernières années poursuit monsieur Zerguine, le paysage gazier international a fondamentalement changé avec l'exploitation à grande échelle du gaz de schiste aux USA, qui a montré à quel point la technologie pouvait modifier la donne économique et industrielle. (...) Toutes ces mutations et défis nous interpellent, et à l'instar des précédentes éditions, ce symposium s'adresse à l'ensemble des acteurs de l'industrie du gaz, à la communauté universitaire, aux chercheurs, et aux professionnels de l'industrie gazière pour pouvoir deux jours durant, débattre et échanger les résultats de leurs travaux, de leurs recherches et de leurs réflexions dans un cadre ouvert à toute liberté intellectuelle.(...) C'est la raison pour laquelle l'AIG a choisi de retenir le thème: « ́ ́Le gaz naturel, énergie du 21e siècle: une transition à réussir ́ ́» pour ce 4e symposium (1).» Ce quatrième symposium de l'AIG a été l'occasion d'aborder plusieurs thèmes sur plusieurs thématiques. La première, celle autour de laquelle s'articule tout le symposium porte sur la problématique de la transition énergétique à long terme, les fondamentaux de l'économie de l'énergie, les changements climatiques, le jeu des acteurs - qu'ils soient de simples entreprises ou des nations. Depuis peu, les indicateurs des marchés composés aussi bien des fondamentaux que des effets conjoncturels, auxquels est venu se greffer l'effet spéculation ont fait que les prix des énergies fossiles, ont subi des fluctuations encore jamais égalées. La crise économique a fait de l'énergie une valeur boursière refuge.(1) «Les contrats gaziers à long terme permettent d'assurer la rentabilité des investissements engagés par les producteurs, mais garantissent aussi, et surtout, la sécurité de l'approvisionnement au profit des pays consommateurs», M.Ahmed Messili. Un constat également partagé par le P-DG de Sonatrach, selon M.Abdelhamid Zerguine qui a précisé que l'Algérie va continuer à appeler les producteurs, comme les consommateurs, à oeuvrer pour l'indexation des prix du gaz sur ceux du pétrole dans le cadre des contrats à long terme qui assurent un débouché des investissements gaziers engagés par les pays producteurs. Intervenant à son tour, l'ancien ministre de l'Energie, M.Nordine Aït Laoussine, a plaidé pour une globalisation du marché du gaz. Pour autant, «la tâche ne sera pas facile pour l'Algérie» concernant la protection de ses débouchés en Europe, car la «demande gazière dans ces pays, connait un déclin depuis 2008, reculant chaque année de près de 12%», a tenu à préciser M.Ait Laoussine. Les contrats à long terme et l'indexation des prix du gaz sur ceux du pétrole ont d'ailleurs, constitué l'essentiel des communications présentées lors du 4e symposium de l'AIG, marqué par la présence d'anciens responsables de Sonatrach ainsi que des présidents de Gas Natural Fenosa, et de Cedigaz, le P-DG de Sonatrach, Abdelhamid Zerguine, a exprimé l'attachement de Sonatrach à ces contrats, condition incontournable pour assurer la stabilité du marché et garantir des prix susceptibles d'assurer les financements nécessaires aux investissements à venir. Illustration parfaite des difficultés et des mutations profondes, il semble que le projet du deuxième gazoduc qui devait acheminer le gaz algérien vers l'Italie, via la Sardaigne, soit désormais abandonné par les deux parties. «L'Italie regarde de plus en plus vers l'Est, du côté de la mer Caspienne, alors que l'Algérie n'a pas envie de subir un autre camouflet comme celui de Fiat. Même si officiellement le sort du Galsi (gazoduc Algérie-Sardaigne-Italie) ne sera tranché que le 30 mai prochain à Milan, les deux pays ne feront rien pour ressusciter un projet mort-né. Il y a quelques années, le ministre Chakib Khelil annonçait aux médias internationaux que «le Galsi livrera les premiers mètres cubes de gaz algérien à la Sardaigne dès mai 2012»...Aujourd'hui, les Italiens sont bien contents de n'avoir rien dépensé pour sa réalisation. L'Union européenne également, arguant de la protestation de groupes écologistes sardes opposés au projet, n'a pas déboursé un euro des 120 millions d'euros promis. Sonatrach, actionnaire principal du consortium Galsi avec 41,6% des parts, est le seul partenaire à avoir investi jusque-là dans la construction du gazoduc.» (2) Faut-il défendre des parts de marché ou développer l'aval? Il est curieux de constater que la majorité des interventions ont porté sur l'état des lieux du marché international dans un contexte de déprime dû à l'irruption non anticipée à l'époque du développement à marche forcée des gaz de schiste qui font que le prix du million de BTU est autour de 3à 4 dollars dans ce pays, alors qu'il est de 8-10 (marché européen)dollars à 16 dollars (marché asiatique) dans les contrats de long terme. L'Algérie s'accroche à ce wagon d'autant que la tâche ne sera pas facile: la concurrence sera rude avec les Russes et leur gazoduc (North Stram et surtout South Stram qui fait que l'Italie en est plus intéressée que par le Galsi). Il faut ajouter à cela les coups de Jarnac de nos frères qataris. Nous sommes donc en difficulté. On dit aussi que la consommation du marché interne croît de 7% par an et que si l'Algérie ne met pas au jour de nouvelles découvertes ou n'exploite pas les gaz de schiste, elle aura du mal à se suffire à elle-même et encore plus à exporter son gaz. La réalité de la fracturation Justement, ce gaz de schiste, qui semble obnubiler certains est une véritable catastrophe écologique comme nous n'avons cessé de le dénoncer. Personne ne peut être contre un gaz de schiste vertueux - pas de produits chimiques, pas de massage (nouveau terme doux pour qualifier les dégâts de la fracturation) qui respecte la nature qui ne rentre pas en concurrence avec le besoin d'eau pour un pays en stress hydrique comme l'Algérie. «La technique de la fracturation hydraulique -qui consiste à injecter, sous très haute pression, un mélange d'eau, de sable et de centaines de produits chimiques toxiques, appelé fluide, dans la terre à une très grande profondeur pour fissurer les roches sédimentaires et libérer le gaz naturel- existe depuis des dizaines d'années. Mais elle était considérée comme trop coûteuse à cause des lois fédérales de protection de l'environnement; c'est-à-dire jusqu'à ce que le Congrès vote en 2005 une loi pour exempter la fracturation hydraulique du respect des lois protégeant l'air et l'eau. Rédigé par l'ancien responsable de Halliburton et vice-président de l'époque Dick Cheney, le tour de passe-passe Halliburton, comme on a fini par l'appeler, a transféré la plus grande partie des règles régissant la fracturation de l'Etat fédéral aux Etats et aux municipalités. Le forage intensif a gagné 31 états, et des régions trop pauvrement équipées pour pouvoir exercer le moindre contrôle sur ce qui se passait dans le sol. La production de gaz a augmenté de 20% depuis 2005 et la production de pétrole de 10%. Pourtant, dans certaines des régions étasuniennes où la fracturation hydraulique est la plus dense, il n'y a toujours en moyenne qu'un inspecteur pour 2 000 puits. Dans l'Etat du Nouveau-Mexique, le ratio est d'un inspecteur pour 4 500 puits.» La rentabilité des gaz de schiste Le gaz de schiste n'est pas rentable, ce sont les patrons d'Exxon et de Total qui l'avouent. Jusqu'à présent, le débat sur le gaz de schiste a surtout opposé les arguments écologiques des défenseurs de l'environnement aux arguments économiques de ceux qui y voient un gisement de profits et d'emplois. Cela pourrait changer. Les déclarations des P-DG de deux géants des hydrocarbures ne devraient pas manquer de relancer le débat. Et pour cause: peu habitués aux déclarations fracassantes, ils avouent tous les deux que le gaz de schiste n'est pas rentable! Le 27 juin 2012, Rex Tillerson, le président d'Exxon Mobil déclarait en marge du Council on Foreign Relations: «Nous sommes tous en train de perdre nos chemises aujourd'hui. Nous ne faisons pas d'argent. Tous les signaux sont au rouge.» Dans Le Monde daté du 11 janvier, c'est au tour de Christophe de Margerie, le P-DG de Total de passer aux aveux: - Total a investi dans les gaz de schiste, au Texas et dans l'Ohio. Quel bilan en tirez-vous? - Ce n'est pas terrible, car nous avons investi sur la base de prix du gaz beaucoup plus élevés que ceux d'aujourd'hui. Notre acquisition au Texas se traduit par une perte sérieuse (...) Le problème est clairement identifié: le prix du gaz naturel a été divisé par six depuis son pic de 2008. Résultat: le gaz de schiste coûte actuellement plus cher à produire que son prix de vente. Voici les chiffres avancés par Christophe de Margerie lui-même (pour le Texas): ́ ́Nous avions fait nos études de rentabilité sur un prix qui était à plus de 6 $ le million de BTU, aujourd'hui on est à 3,2 $ et ça ne passe pas! ́ ́.» (4) «En août 2012 BHP Billiton Ltd a dû réduire de 2,84 milliards de dollars la valeur d'une partie de ses actifs en gaz de schiste aux Etats-Unis, lesquels avaient été achetés 4,75 milliards de dollars seulement dix-huit mois plus tôt. En juillet, deux autres sociétés, BG Group Plc. et Encana Corp, ont annoncé une réduction de plus de 3 milliards de dollars de leurs actifs en gaz de schiste. ́ ́Le journal Les Echos du 31 janvier 2013 rapporte qu'Aubrey Mc Clendon, le fondateur de Chesapeake, va quitter ses fonctions. Le patron de la société avait déclaré, de façon prémonitoire, en mars 2012: «Qualifiée d' ́ ́inquiétante ́ ́, la dette de Chesapeake atteignait 16 milliards de $ fin septembre 2012, alors que la société avait accusé une perte supérieure à un milliards de $ sur les trois premiers trimestres de l'année. Ça ravive quand même le souvenir de la ruée vers l'or.com, qui mena à l'éclatement de la bulle Internet au tournant de l'an 2000.» (4). Que faire? Laisser la consommation se débrider sans expliquer les enjeux? Lors de mon intervention, j'ai surtout mis l'accent sur le fait que les Algériens doivent être au courant des enjeux. Il ne faut pas les «caresser dans le sens du poil» en les laissant gaspiller l'énergie d'une façon ostentatoire pour certains et débridée. Le monde sera de plus en plus impitoyable. L'Algérie, comme je l'ai martelé est vue comme un pourvoyeur d'énergie Les compagnies internationales que nous essayons à tout prix par des «assouplissements» des lois ne nous aident que dans l'amont. L'immense majorité des investissements faits à partir des années 1980 ne l'ont été que dans l'amont. Il est vrai qu'on ne peut pas nous aider si on ne sait pas ce qu'on veut. Satisfaire le marché intérieur à tout prix même au prix, du bradage pour avoir la paix sociale, est contreproductif et dangereux. Il nous faut nous éduquer mutuellement: l'énergie fossile est un capital qu'il faut préserver. Pour cela, seule une stratégie d'ensemble, un bouquet énergétique, mais surtout une sobriété énergétique, nous permettront de conjurer les périls. Il nous faut les éco-citoyens de demain. Le développement ce n'est pas rouler en 4x4, le développement ce n'est pas avoir un portable vissé à l'oreille. Le développement, ce n'est pas les émissions soporifiques sur l'amusement en termes de concours de chants, de mercato de football. Le développement, c'est le travail bien fait. C'est de se mettre justement au travail pour mériter son dû. Cela commence avec le parler vrai, en donnant l'exemple. Cela passe aussi par la vérité des prix. Il est scandaleux que le prix d'une bouteille d'eau minérale d'un litre soit l'équivalent de celui de 4 m3 d'eau potable, il est scandaleux qu'un kWh d'électricité soit bradé à 2 DA, il est scandaleux qu'un litre de gas oil- nous avons importé pour près de 600 000 tonnes - soit cédé à 13 DA hypothéquant définitivement l'utilisation du sirghaz disponible. La stratégie énergétique ne doit pas être différée. L'Université a son mot à dire. Consultons-la! Il serait souhaitable que le prochain symposium - vingt ans après l'étude des marchés internationaux - se penche aussi sur une stratégie énergétique que nous appelons de nos voeux. 1. Allocution de M. A. Zerguine Préparation du Symposium AIG 8 janvier 2013 2. Le Galsi renvoyé aux calendes grecques El Watan le 19.02.13 3. Peter Rugh http://occupy.com/article/ new-yorks-victory-against-big-gas-... http://www.legrandsoir.info/etats-unis-les-defenseurs-de-l-environnement-gagnent-une-importante-bataille-contre-l-exploitation-des-gaz-de-schiste-par.html 4.Jean-Marie Perbost http://quoi.info/ actualite-economie/2013/02/04/gaz-de-schist...