La justice algérienne est malade. Elle souffre, d'abord, de la corruption et de l'incompétence des juges qui se sont érigés, par la grâce d'un système politique décadent, en vrais faiseurs de roi pour les plus riches en décrétant des décisions de justice qui relèvent, à la fois, de la cour des miracles et du fait du prince. Nos juges ne sont pas tous des ripoux et ne subissent pas, dans leur majorité, l'attrait alléchant que leur procurent souvent leurs fonctions. Combien, parmi eux, sont milliardaires? Combien possèdent et habitent des villas cossues? Combien de ces magistrats peuvent se targuer, aujourd'hui, de n'avoir jamais subi la tentation morbide de rendre leur verdict contre le versement d'une enveloppe délictueuse? Ce n'est un secret pour personne, aujourd'hui, de dire que les décisions de justice se négocient à travers tous les tribunaux d'Algérie. Ce n'est pas la loi qui souvent détermine le verdict des affaires traitées par nos tribunaux, mais bien l'entregent, la concussion et le clientélisme. Il n'y a de pire crime que celui qui consiste à priver de ses droits légitimes un citoyen justiciable auquel la loi accorde et garantit toute latitude de sa protection et de sa rigueur. Les procureurs généraux, les présidents de cours, les présidents de tribunaux et les juges qui représentent l'institution judiciaire ne sont pas tous blancs comme neige. La plupart d'entre eux ne sont, en plus, ni compétents pour rendre une justice sereine ni intègres pour échapper à cette forfaiture inqualifiable de se vendre au plus offrant. Juger, c'est d'abord comprendre. En Algérie, cet axiome n'est pas encore de mise. L'on ne peut continuer à accepter que de pareils dysfonctionnements minent les cours de la justice que l'on prétend rendre au nom du peuple algérien. Beaucoup de nos juges méritent qu'on leur inflige, à leur tour, la potence. Ils ont jeté le discrédit sur les hommes intègres et éclaboussé l'honneur de bien des familles pourtant réputées dignes. Le scandale de l'affaire Sider est là pour nous rappeler que lorsqu'il ne s'agit pas d'une justice du portefeuille, c'est alors celle des coups bas et des intrigues, qui prédomine bien souvent dans nos prétoires. Le Président Bouteflika a promis de s'attaquer à ce mal endémique qui gangrène notre justice. Il a confié ce dossier à Ahmed Ouyahia, le ministre de la Justice. Mais, en deux ans, il faut se rendre à la triste évidence que rien n'a été fait pour assainir notre justice de ses magistrats véreux et rétablir la confiance perdue du citoyen en ses hommes de loi. La faillite de l'Algérie se situe d'abord dans le domaine exclusif de sa justice. Sinon comment expliquer que sur près de 400 magistrats mutés et sanctionnés pour fautes graves, Ouyahia n'a pas daigné, à ce jour, en déférer au moins cinq devant le parquet? Bon nombre de juges ont été mutés dans d'autres circonscriptions, cela après que tout le monde eut constaté qu'ils se vendaient aux plus offrants. Muté dans une autre ville d'Algérie, ce président de cour réagit ainsi: «Je n'ai rien perdu. Mes dividendes me suivent là où j'exerce mes fonctions de magistrat.» Tout le dilemme de l'application de la réforme de la justice exsude de l'aveu de ce juge corrompu. Le peuple algérien a soif de justice! Et pour qu'il ait encore confiance en son Etat et en son institution judiciaire, n'est-il pas encore temps de déclarer une véritable guerre ouverte à tous ceux qui continuent à souiller le prestige et la dignité de toute une République mise à mal par une faune invétérée de juges intouchables? Le devoir d'inventaire interpelle maintenant tous les Algériens: qu'allons-nous faire de cette justice à deux vitesses qui nourrit toutes les frustrations sociales? Le premier magistrat du pays finira-t-il par comprendre que le recours au châtiment exemplaire devra toucher aussi tous ceux qui prétendent l'appliquer au nom d'une justice décriée par trente millions d'Algériens? Il est certain aujourd'hui que le ministre de la Justice n'a pas apporté tout son concours bienveillant pour rompre définitivement avec des moeurs kafkaïennes d'un passé révolu. N'est-il pas temps de prouver aux Algériens que les promesses de Bouteflika de refonder notre justice ne sont pas un voeu pieux? Ouyahia, responsable de toutes les lenteurs en matière de réforme de la justice, l'a-t-il compris? Quoi qu'il en soit, son passage à la tête de l'institution judiciaire est loin d'en avoir bouleversé le fonctionnement et les moeurs. N'est-il pas enfin l'obstacle majeur à abattre?