L'Algérie du million de martyrs doit inventer une nouvelle révolution mobilisatrice «Il n'est nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer» Guillaume d'Orange Moins de 330 jours nous séparent d'une échéance: celle d'une élection vitale devant désigner la personne devant mener l'Algérie à bon port. Comme dans tous les pays en développement du fait de la faiblesse structurelle des institutions, ce passage de témoin se fait souvent dans la douleur car il est bien connu que les gouvernants, notamment arabes, ne quittent le pouvoir que par l'émeute ou par la maladie. Comment se présente la situation dans notre pays? Nous allons, en honnêtes courtiers, décrire comment nous avons traversé un demi-siècle d'indépendance, ce qui nous attend dans un avenir mondial de plus en plus dangereux et comment nous pourrions nous en sortir avec le moins possible de dégâts pour un peuple algérien qui a perdu ses repères. Qu'avons-nous fait en 50 ans? Dès le départ, en 1962, nous sommes rentrés dans la gestion du pays par effraction. Nous avons étouffé les libertés et les différentes sensibilités au nom d'une accabya mythique - Nous sommes Arabes, nous sommes Arabes, nous sommes Arabes! -martelait le premier président algérien, tournant du même coup, le dos au fond rocheux amazigh de l'identité. Résultat des courses: ce fut une lutte sourde entre deux visions de l'Algérie, celle regardant vers une métropole moyen-orientale et celle appelée à tort «Hazb França» qui fut la cheville ouvrière du fonctionnement des institutions balbutiantes de l'Etat. Le dirigeant suivant Boumediene continua sur sa lancée en stérilisant d'une façon brutale toute velléité de contrepoids ou d'opposition, mais, contrairement au populisme de Ben Bella, tenta d'asseoir les attributs d'un Etat avec ses trois révolutions -culturelle, agraire, et industrielle - S'il est patent que ce fut un échec pour les deux premières, on ne peut pas honnêtement dire de même pour l'industrie. Il faut savoir en effet, et à titre d'exemple, que l'outil de raffinage 22,5 millions de tonnes actuel, date de cette période, il en est de même des complexes de matières plastiques, d'engrais phosphatés... sans compter les dizaines de sociétés nationales qui ont toutes sombré par la suite. Globalement, après 1979, les différents gouvernants ont minutieusement détricoté le tissu industriel et la période Chadli 1979-1991 est une parenthèse de temps morts; non seulement nous n'avons pas continué sur le dur chemin du développement, mais surtout, conjoncture internationale aidant, le baril de pétrole était brièvement à 40 dollars, le dollar à 5 francs et le franc à 1,2 dinar. L'Algérie découvrait -sans le mériter- le programme anti-pénurie (PAP). Il dépensait l'argent de la rente, en biens de consommations. Naturellement, il y eut un retour de manivelle en juillet 1987, le baril passait sous la barre des 10 dollars. L'Algérie fut acculée à s'endetter pour assurer le Smic de nourriture. Les ingrédients de la révolte étaient en place. Si on y ajoute à cela les reculs démocratiques, notamment par un parti politique qui a vérouillé toute expression, l'importation d'idéologues religieux du Moyen-Orient venus substituer à l'Islam maghrébin vieux de 14 siècles leurs visions rétrogrades du monde. 1988 fut le premier avertissement du ras-le-bol populaire. Le pouvoir ouvrit le champ politique et médiatique. Ce fut un bonheur éphémère. Nous eûmes droit après la «démission» du président Chadli à une décennie de sang et de larmes inaugurée avec l'espérance éphémère de Boudiaf qui, en six mois, réussit à redonner vie à la jeunesse. Son assassinat ouvrit la boîte de Pandore. Avec Le président du Haut Comité d'Etat, l'Algérie traversait une période chaotique et l'avènement de Lamine Zeroual redonna confiance à un peuple qui ne demandait qu'à croire à un sauveur. Ce ne fut qu'un sursis. La démission du président Zeroual plongea l'Algérie plus que jamais isolée à l'échelle internationale dans l'incertitude. Arrive avril 1999, les élections pluralistes furent organisées, mais la veille du scrutin, tous les candidats se retirent laissant le champ libre à Abdelaziz Bouteflika qui fut élu avec une marge confortable. Il fut réélu en 2004 et 2009. Graduellement, la situation sécuritaire s'améliora. Cela est dû, il faut le reconnaître, à l'action du Président Bouteflika, mais aussi à une conjoncture internationale qui a totalement changé après les attentats du 11 septembre 2001. L'Algérie, qui avait toutes les peines du monde à se faire entendre, redevient fréquentable. De plus, une conjoncture pétrolière favorable aida l'Algérie à régler sa dette et les problèmes de fond- qui sont malheureusement toujours latents- par une distribution de la manne pétrolière. Qu'avons-nous fait de pérenne? Nous avons parlé de la période erratique de Ben Bella. Il faut reconnaître que le départ en masse des Européens d'Algérie, laissa l'Algérie sans cadres, sans structures ni administratives ni techniques. De plus, ce fut le début de la mise en oeuvre de la «légitimité révolutionnaire». Les combattants de la 25e heure, squattèrent les postes du pouvoir. Avec Boumedienne, une tentative d'un développement endogène fut mise en place. On ne le dira jamais assez. L'industrie industrialisante, malgré des erreurs, fut un tournant. L'Algérie investissait chaque dollar de la rente. On allait graduellement vers l'autonomie. Ce fut l'époque de la nationalisation des hydrocarbures, du Barrage vert, des 1000 villages agricoles pour ramener à la terre les paysans qui eurent plus de 10.000 villages brûlés par les bombardements du pouvoir colonial. Après 1979, mises à part des dépenses de prestige, rien de pérenne n'est à signaler, au contraire, par pans entiers l'outil industriel est démantelé au profit d'un infitah ravageur qui se prolongea pendant les années 1990 où l'Algérie avait un problème de survie tiraillée par le FMI qui nous a ajustés structurellement plusieurs fois et un terrorisme sanglant. Ce qui restait de l'industrie fut sacrifié; plusieurs centaines de milliers de travailleurs furent licenciés. A partir de 1999, la rente aidant, la paix graduellement revenue, les différents plans mis en place furent surtout des réalisations sur le plan social. Des centaines de milliers de logements distribués, souvent en fonction de la capacité de nuisance, Peu de créations de richesse. 40.000 importateurs contre une centaine d'exportateurs. L'Algérie, comme en 1980, découvrait sans effort, sans sueur et surtout sans mérite, le 4x4, pour certains, les portables pour tous et des appartements pour ceux qui savent brûler des pneus. Résultat des courses: 46 milliards de dollars de dépenses en 2012 dont 6 milliards de dollars en voitures, 8 milliards de dollars en nourriture avec une dépendance à 80%, ceci pour une rente insolente de 72 milliards de dollars dont 98% proviennent des hydrocarbures et le reste des produits miniers (fer, phosphate..) et du sol (dattes, vin,). La création de richesses est quasi inexistante. Pour résumer, la rente est devenue au fil des ans une malédiction du fait qu'elle stérilise toute création de richesses. De 1965 à 1978, nous avons perçu 22 milliards de dollars, et l'essentiel de notre tissu industriel date de cette époque. De 1979 à 1991 ce fut environ 120 milliards de dollars, de même que de 1992 à 1999 l'Algérie engrangea une centaine de milliards de dollars. Pour la période 1999 -2012, la cagnotte de la rente fit un bond spectaculaire à près de 550 milliards de dollars. Il nous resterait près de 200 milliards de dollars dans les banques américaines. Au total, depuis l'indépendance, c'est près de 800 milliards de dollars qui ont été perçus. La majorité de cet argent a servi à nourrir le peuple, à lui procurer un toit, à le soigner et à l'éduquer sans compter naturellement l'argent détourné pour cause de corruption. Malgré tous les efforts qui ont été faits pour le système éducatif, notre école est sinistrée. Nous avons misé sur le quantitatif qui était une étape nécessaire pour les Algériens interdits d'école pendant la colonisation, mais nous n'avons pas su faire émerger graduellement l'élite. Les deux dernières décennies sont à marquer d'une pierre noire, car nous avons atteint le fond. Près de 8,5 millions d'élèves avec un faible niveau, 1,5 million d'étudiants déboussolés et sans réels acquis, 300.000 élèves dans une formation professionnelle sans cap. Est-ce là une performance? Nous formons pour des métiers qui n'existent pas, des dizaines de milliers de jeunes versent dans l'informel et les rares diplômés compétents se sauvent vers des cieux plus cléments. Ceci est dû en partie au fait que l'université est tenue à l'écart du fonctionnement de l'Etat. Comme tout est importé, même les travailleurs, point n'est besoin des Algériens. Il en est de même de notre système de santé où les hôpitaux sont devenus des mouroirs. La stérilisation du savoir-faire par la rente et la démagogie Dans l'Algérie de 2013, l'énergie, l'eau, le pain sont pratiquement gratuits! Ce qui n'incite pas à la sobriété. Nous nous contentons de distribuer la rente, au lieu, en donnant l'exemple, inciter les jeunes à l'effort en leur donnant une perspective d'évolution dans la vie, autrement que par les zerdas saisonnières de la sous-culture, les feuilletons débiles d'une télévision indigente et les soporifiques de matchs de foot pour oublier, le temps d'une rencontre, l'enfer du quotidien. Si on y ajoute les satrapes qui ont investi le champ politique et les nouveaux riches qui ont jailli du néant, nous avons une description d'une société en miettes où c'est la guerre de tous contre tous et où les lendemains ne chantent pas. Qu'on se le dise, dans l'Algérie de 2013, il vaut mieux être footballeur et gagner en une saison ce que gagne péniblement un professeur d'université en une vie. Il vaut mieux entrer dans le grand informel de l'import-import et pouvoir se payer un Hammer à un milliard de centimes que de faire des études universitaires qui débouchent sur le chômage. Que devons-nous faire devant un monde de plus en plus dur? Le monde est devenu de plus en plus dangereux pour les pays vulnérables qui n'ont pas su mettre en place des institutions qui résistent aux hommes. Le printemps arabe qui éclôt avec quelques dizaines de morts dans les pays arabes, est-il derrière nous? Avons-nous soldé ce printemps avec les 500 morts de 1988 et les 200.000 morts dix ans plus tard? Quel crédit accorder à Bernard-Henry Levy qui déclare, lors d'on colloque à Marseille le 24 Janvier 2013: «L'Algérie ´´doit connaître´´ son printemps arabe!». Pour lui «L'Algérie n'est pas un pays arabe ni islamique mais un pays juif et français, sur un plan culturel» et il ajouta: «Ces printemps arabes, c'est bon pour Israël.» «Au-delà des gesticulations médiatiques d'un microcosme aux abois,écrit Mohamed Tahar Bensaâda, et des luttes de clans à couteaux tirés pour le partage de la rente qui ont fini par lasser la population et plongé la jeunesse dans une désaffection grave à l'égard de la chose publique, propice à toutes les manipulations, il convient de s'interroger sur les mobiles réels des forces en présence et sur les enjeux véritables de cette guerre de succession dont l'ouverture avant l'heure risque de chambouler bien des agendas. (...) Le «printemps arabe» continue de roder dans la région. Des puissances malintentionnées sont à l'affût. La matière inflammable est là. La moindre étincelle peut mettre le feu aux poudres. La haine viscérale qu'il inspire dans certains cercles du microcosme algérois est avant tout une haine dirigée contre celui qui entrera sans doute dans l'histoire comme le dernier représentant de la génération du 1er Novembre au pouvoir». Mais si les Algériens libres veulent continuer à vivre comme une nation et non comme un ensemble de tribus dans une «Algérie unitaire et régionalisée, quel que soit le modèle constitutionnel choisi et quel que soit le charisme personnel de celui qui aura à assumer les plus hautes fonctions à la tête de l'Etat, dans un monde voué à la globalisation, il est aujourd'hui illusoire de penser qu'une petite nation puisse sauvegarder son indépendance et sa souveraineté indépendamment de son PIB par habitant, de son effort en matière de développement scientifique et technologique, de sa capacité à satisfaire les demandes sociales légitimes de sa population, de sa vigueur à protéger les droits fondamentaux de ses membres, de son rayonnement culturel et diplomatique sur la scène internationale et enfin de son potentiel de défense nationale.(...) Cet avenir plus que jamais incertain, aucun laboratoire souterrain, aucune fuite en avant politique, aucune abdication devant les puissances incontestées du jour, ne pourrait le garantir si la volonté populaire n'est pas au rendez-vous. Même dans les périodes les plus sombres de son histoire, le peuple algérien a su trouver le juste équilibre entre les différentes forces qui l'habitent et qui le font espérer et lutter. Aujourd'hui, le génie algérien est appelé à trouver dans l'urgence et la difficulté les modalités de l'équilibre nécessaire entre souveraineté nationale et souveraineté populaire, loin du suffrage censitaire des uns et du populisme ethnique ou religieux des autres...» (1) Qu'on se le dise! Nous sommes plus que jamais vulnérables. N'est-il pas temps, à l'orée de la nouvelle élection présidentielle, de tracer les contours des défis qui nous attendent? Cinquante ans après, le moment est venu de réhabiliter l'effort le travail, la sueur, la compétence, la glorieuse révolution de Novembre doit impérativement donner naissance à de nouvelles légitimités, celles de la compétence, de l'intégrité, celles qui permettent à l'Algérie d'avoir un cap multidimensionnel. C'est cela l'avènement de la deuxième République: tout d'abord, la conviction, qu'avant d'appartenir à des tribus ou à des régions, nous devons ancrer en chacun de nous la conviction que nous sommes avant tout des Algériens fiers de nos identités, de nos cultures. Par la suite, il est nécessaire de passer le témoin comme l'a si bien dit le président à Sétif, à la nouvelle génération, celle de l'effort, du devoir bien fait, celle qui ne fait pas dans la division. Cette génération du Nord au Sud, d'Est en Ouest, profondément convaincue du désir d'être ensemble, qui ne fait pas de la religion un fonds de commerce pour accaparer le pouvoir autrement que par la réelle légitimité des urnes. Nous sommes à la croisée des chemins, les convulsions sociales légitimes peuvent déboucher si on ne les résout pas à temps sur d'autres dimensions qui, il faut bien le dire, font froid dans le dos. Nous sommes saturés par des informations sur des velléités de partition à l'instar du Soudan, de la Syrie, nous ne sommes pas invulnérables. L'Algérie du million de martyrs doit inventer une nouvelle révolution mobilisatrice. Pour cela, seul le parler vrai permettra de garder l'unité de l'Algérie sans ses multiples diversités qu'il faut laisser s'émanciper. Il y a cinquante Etats américains, mais un seul drapeau, une seule Constitution, une seule monnaie. Il nous faut cultiver le vivre-ensemble. L'Algérie est à la croisée des chemins pouvant transcender cette crise multidimensionnelle ou aller vers l'inconnu avec le risque d'une très grave déflagration sociale que l'on atténue transitoirement par la distribution passive de la rente des hydrocarbures. Non! l'Algérie mérite un meilleur destin! 1. Mohamed Tahar Bensaada 2 mai, 2013 http://oumma.com/16628/lalgerie-a-lheure-grandesmanoeuvres?utm_source=Oumma+Media&utm_campaign=c4bf65855f-RSS_EMAIL_CAMPAIGN&utm_medium=email&utm_term=0_8d43878bbe-c4bf65855f-80765081