Il a été certainement le plus apte à le réformer. Lorsque la dynastie des Mérovingiens se délita dans les frasques des rois fainéants, ce fut tout naturellement que le pouvoir, comme un fruit mûr, tomba entre les mains des maires du palais. Quelques siècles plus tard, Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, fils du drapier du roi, qui a grandi en flânant dans les allées de la cour, a été l'un des plus grands dramaturges du XVIIe siècle, un critique de génie qui a mis à nu, à travers des traits incisifs et des calembours satiriques, les ratés de la monarchie, les soubresauts de la noblesse, les tendances dictatoriales du parti des jésuites et les mimétismes de la bourgeoisie. Tout cela pour dire que l'ancien chef de gouvernement Mouloud Hamrouche, qui a grandi à l'ombre du pouvoir depuis l'école des Cadets de la Révolution, un parapluie à la main pour protéger le président Boumediene des intempéries, est celui-là même qui s'est engagé, juste après les émeutes du 5 octobre 1988, à réformer le système dont il était le produit. Il a été certainement le plus apte à le réformer, mais pour cette même raison, il a été le moins apte à l'incarner, au contraire des valets du palais. Paradoxe des paradoxes, celui qui est au fait des moindres arcanes et chicanes du pouvoir est celui-là même qui est incapable d'en exercer le commandement. Son passage à la tête du gouvernement, période durant laquelle il a fait souffler un vent de changement inédit depuis 1962, a été justement suffisant pour démontrer aux yeux des «décideurs» que M.Hamrouche allait céder le sceptre du commandement aux tenants d'une remise en cause radicale de l'équilibre des forces dans le pays. En effet, les élections locales du 12 juin 1990, qui ont permis à l'ex-Fis de prendre le contrôle des municipalités et des assemblées de wilaya, se sont déroulées dans un climat de fraude sans précédent, créant un climat de tension et plongeant le pays dans une crise dont il n'est pas encore sorti. Le laxisme dont le chef de gouvernement de Chadli Bendjedid fit preuve à l'égard de l'occupation de la rue par les militants du parti dissous, ont mis en avant son inaptitude à exercer le pouvoir réel, gardien des libertés publiques, mais vigilant quant à la montée des troubles à l'ordre public. Alors que le président Houari Boumediene, désigné à la tête de l'état-major de l'ALN à partir de 1958, a su saisir cette opportunité pour gravir les échelons et devenir le maître incontesté du pays, Mouloud Hamrouche n'a été propulsé à la tête du gouvernement qu'à la faveur d'un chahut de gamins. S'il est arrivé au moment opportun pour résoudre la crise qui se posait au système, notamment à la possibilité offerte aux dignitaires du régime de recycler dans le secteur privé les richesses amassées à l'ombre des monopoles publics, il n'en demeure pas moins que sa mollesse à partir de 1991 vis-à-vis du courant intégriste risquait de compromettre les gains espérés par ces dignitaires de ses réformes. Il fallait donc qu'il passe le relais à ceux qui sauraient faire fructifier les dividendes des réformes qu'il avait mises en chantier. M.Hamrouche a raison de dire aujourd'hui que l'armée a été neutralisée au profit de groupes d'intérêt, tout comme en 1991. On dit que la vérité sort de la bouche des enfants et M.Hamrouche, en tant qu'enfant du système, comme il aime à se définir lui-même, illustre bien cet adage. Qui mieux que lui pouvait se permettre un langage aussi cru, aussi nu?