«Il revient à chaque cinéaste africain digne de ce nom, de donner une visibilité à l'Afrique en étant dans un grand rendez-vous cinématographique» La nuit, l'Afrique danse. Vraisemblablement. Seul film africain en sélection officielle en compétition à la 66e édition du Festival de Cannes, Grigris de Mahamet Saleh Haroun, n'a pas trop emballé les critiques. Considéré par certaines mauvaises langues comme un film plutôt «français» pour la couleur d'argent de sa production, le nouveau long métrage du réalisateur tchadien, qui a déjà été récompensé, il y a deux ans, par le Prix du jury à Cannes pour son film Un Homme qui crie n'a pas fait l'unanimité. Un film de coeur, touchant, généreux, diront certains, mais loin d'égaler la stature et surtout la grosse gueule de son auteur qui mis un point d'honneur, il y a deux ans, à ne plus remettre les pieds au Fespaco. On l'attendait en effet au tournant. Mahamet nous a un peu déçus. Son film est l'histoire simple de deux jeunes gens paumés qui essaient de s'en sortir dans la ville de N'djamena. Lui, surnommé Grigris, est un garçon handicapé de la jambe, qui pour arrondir les fins de mois danse le soir en boîte. Sur la piste Grigris rayonne de grâce. Il se métamorphose. La nuit éblouit effectivement... et tous les chats sont gris. Elle, Mimi, est une belle jeune fille qui rêve de devenir mannequin, mais qui se prostitue pour survivre. Le père de Grigris est hospitalisé et ses soins demandent de l'argent. Le labo photo de son père ne rapporte pas grand-chose. Grigris décide de flouer son cousin Moussa en vendant à son compte les barils d'essence destinés au trafic. Et c'est le début de l'engrenage pour ce couple atypique. A la faveur d'un point de presse animé hier, d'emblée, Mahamet Saleh Haroun avouera avoir rencontré le jeune comédien, Souleimane Deme, au Fesapco 2011. Sa façon de danser «en brandissant sur le public sa jambe comme un fusil» l'a interpellé, attiré. «Je savais que c'était mon personnage. Car au début, je voulais parler des trafiquants d'essence, mais je trouvais que cela faisait trop un film polar», a-t-il souligné. Et de renchérir: «Pour moi, c'était une révélation, la clé qui m'a permis d'ouvrir une porte pour cheminer dans l'écriture de mon scénario». A propos de son jeune prodige, M.Haroun le qualifiera de combattant, ayant perdu l'usage de sa jambe très jeune après avoir été piqué au niveau du nerf sciatique. Et de raconter sa fâcheuse mésaventure à Bruxelles. «Il a été arrêté par la police et retenu au moins 5 heures, car on trouvait qu'il avait une tête bizarre. Qu'on fasse cela aux sans-papiers c'est scandaleux, alors le faire à des gens en possession de leurs papiers...» Evoquant le propos de son film, Mahamet Saleh Haroun dira avoir voulu «rendre compte de la ville de N'djamena, la nuit et la traduire avec ces silhouettes fantomatiques». Si l'histoire est somme toute banale, les ambiances lumineuses de la nuit sont bien rendues et donnent plus de relief à l'aspect intime des choses. A propos de ce village dans lequel le couple ira se réfugier, un endroit où règnent les femmes, le réalisateur dira que son film «n'est pas un retour aux sources, ni une apologie villageoise, mais presque un espace révolutionnaire». Féministe son propos? Le réalisateur le revendique en tout cas. «J'ai regardé un peu mes films et j'ai regardé mes tantes. Elles sont cuisinières donc généreuses. Je voulais parler aussi des femmes..» S'agissant du manque de visibilité du cinéma africain dans le monde, Mahamet Saleh Haroun, fera remarquer: «On a dit qu'avec le numérique on pouvait produire pas mal, car ce n'est pas cher, moi j'ai tendance à dire que quand on a rien à dire, que ce soit en 35 mm ou en numérique, on a rien à dire. On a le numérique depuis un certain nombre d'années, cela n'a pas donné une explosion de films, ni pour autant une grande visibilité dans ces festivals. Je constate aussi que le numérique n'a pas permis une invention d'une économie bien africaine. On ne peut pas en permanence invoquer l'absence de financement, les cinéastes ont aussi leur part de responsabilité. On a fait un film, (Un Homme qui crie), on a été à Cannes et à ce moment-là, je constate qu'on a eu des financements de la part du gouvernement tchadien parce qu'ils commencent à se dire que ces saltimbanques font du boulot et il faut les accompagner. Aujourd'hui, si le ministre de la Culture, l'ambassadeur du Tchad auprès de l'Unesco seraient là pour moi, c'est parce que, à un moment donné, on s'est dit, le coup de tête, il faut aussi pouvoir le donner soi-même avant de se dire en permanence que quelqu'un doit nous donner un coup de pouce.» Et d'indiquer: «J'estime que ces festivals sont importants car déjà nos films sont invisibles des circuits de distribution. Il revient à chaque cinéaste africain, digne de ce nom, de donner une visibilité à l'Afrique en étant dans un grand rendez-vous cinématographique. Cela me semble d'une éthique incontournable. Il n'y a pas de salles dans plusieurs pays africains. Et moi je ne peux pas rajouter de l'invisibilité à l'invisibilité déjà existante.»