Notre pays s'enfonce inexorablement dans une espèce de farniente trompeur tant que le baril couvre notre gabegie. Après, ce sera le chaos «Quand on suit quelqu'un de bon,on apprend à devenir bon; quand on suit un tigre, on apprend à mordre.» Proverbe chinois Le Conseil national économique et social organise le forum économique et social à partir d'aujourd'hui et ceci pendant trois jours: quelque cinq cents participants de tout horizon y sont conviés. On ne peut que le féliciter de cette initiative qui oblige à remuer ses méninges dans une atmosphère pesante où malgré les efforts d'un Exécutif qui essaie de maintenir l'Algérie à flots, le temps semble être suspendu donnant l'impression que la «machine Algérie» est plus que jamais grippée avec un mot d'ordre partisan: «Il est urgent de ne rien faire.» Tel semblait être le slogan des partis politiques des auto-proclamés dépositaires de la volonté du peuple. Et pourtant, plus que jamais nous avons besoin de débattre, d'échanger, de décortiquer le monde et d'avancer. Il est regrettable que les médias soient plus ouverts vers «l'entertainment» le divertissement -diversion. Du temps de Rome sur le déclin, on donnait au peuple du pain et des jeux de cirque pour le divertir - panem and circenses Au XVIIe siècle, c'est une occupation qui détourne l'homme d'une préoccupation jugée essentielle, la vie religieuse. Au XXIe siècle c'est un luxe que nous ne pouvons nous permettre du fait de la marche dangereuse du monde. «Jean Mesnard explique que les deux mots divertissement et diversion ont une étymologie très proche l'un de l'autre. Ces deux termes se fondent sur une notion de psychologie qui consiste pour l'homme à se fuir, volontairement ou non, à donner le change, à s'évader. Pascal semble réfuter la notion de Montaigne et explique que le divertissement est le moyen qui nous détourne de nous-même, qui nous empêche de regarder la réalité en face.» (1) Cinquante ans après, nous devons nous poser la question. Qui sommes nous? Un pays qui se cherche? Sûrement! Un pays qui n'a pas divorcé avec ses démons du régionalisme, du népotisme? C'est possible! Un pays qui peine à se déployer, qui prend du retard, qui vit sur une rente immorale car elle n'est pas celle de l'effort, de la sueur, de la créativité...» Tout ceci est cruellement vrai. Notre pays s'enfonce inexorablement dans une espèce de farniente trompeur tant que le baril couvre notre gabegie. Après, ce sera le chaos. Ce n'est certainement pas l'agitation frénétique des partis qui fera émerger des députés fascinés par l'avenir. L'état de grâce factice ne peut durer éternellement. L'avenir des générations futures risque d'être hypothéqué. Il ne faut pas le compromettre davantage et de façon irrémédiable. Nous devons nous réveiller de ce sommeil trompeur pour affronter la réalité et le futur en face des soporifiques d'une culture sans imagination, celle des zerdas saisonnières et le ministère de la Jeunesse réduit à un ministère de l'Equipe nationale ne sont que des ersatz. Ils participent à l'opium de la jeunesse. Le jeune n'ayant pas de perspective se tourne vers l'au-delà, risque sa vie en mer, monte au maquis ou verse dans l'informel en attendant des jours meilleurs. Quel immense gachis! Ce n'est pas cela qui devrait être. Le cri du coeur du Cnes Je suis de ceux qui croient peut-être naïvement en tous les sauveurs de l'Algérie. A ce titre, sous la présidence de Mohamed Seghir Babès le Cnes propose une démarche cohérente à même de participer à l'avènement d'une économie durable. «Si l'indépendance du pays, lit-on sur le préambule, a été le point de départ du lancement des grands projets de développement, il n'en demeure pas moins que l'indépendance économique censée hisser la société algérienne à un niveau de développement auquel elle a aspiré depuis plusieurs décennies, n'est pas tout à fait acquise malgré les gros budgets attribués aux secteurs socioéconomiques et que la dépendance de l'extérieur représente une menace pour le pays si les dispositions pour éliminer «l'Etat providence» soutenu par une recette des hydrocarbures faramineuse, ne sont pas prises immédiatement». (2) «N'ayons pas honte poursuit le Cnes ou peur de présenter le «tableau noir» de l'actualité du pays et du malaise du citoyen algérien. La véritable appréhension réside dans la stagnation du pays à plusieurs niveaux marquant une incompréhension (jusqu'à quand?) de la société qui peine à trouver son équilibre et d'une administration «absente» entachée de tous les maux liés notamment à une corruption interminable et donc une médiocrité inqualifiable. Sommes-nous capables s'interroge le Cnes, de construire notre pays sur des bases saines et durables?» (2) Nécessité d'un état des lieux sans complaisance Le Cnes, sans faire de procès le quiconque, énumère cependant, les causes des errements qui ont abouti, il faut bien le dire, à cet échec: «L'incompréhension des uns et des autres, l'absence de coordination, le laisser-aller des administrations et le «laxisme» des pouvoirs publics, laissant l'impunité amplifier les graves dysfonctionnements à tous les niveaux et plus particulièrement dans la justice et la sécurité nationales, pourraient mener le pays à une situation irréversible susceptible de remettre en cause voire contribuer à la disparition des vrais fondements de l'Etat algérien construits sur les principes de la révolution de Novembre. C'est regrettable de dire que nous avons failli à construire «l'Etat de droits» tant attendus après l'indépendance.»(2) Quel est le nouveau régime de croissance? La désindustrialisation (notre industrie pèse à peine 5%du PIB) par pan, entier, due à l'infitah, fait que l'Algérie ne sait plus rien faire Tout est importé (20.000 importateurs de tout et de n'importe quoi en l'absence de cap et une centaine d'exportateurs. Il faut ajouter à cela l'accord désastreux avec l'Union Européenne, un accord qui est un véritable désarmement tarifaire de l'Algérie qui n'exporte presque rien La baisse illusoire du chômage est illustrée paradoxalement de la baisse de productivité qui fait que le chômage reviendra en force s'il n'est plus soutenu par la distribution d'une rente qui ne crée pas de richesse. Justement déjà un document, il y a deux mois le Cnes avait pointé du doigt la réalité du chômage. «Les besoins sociaux et la perception du bien-être apparaissent de plus en plus différenciés au sein des populations et des territoires». Les distorsions régionales et les déséquilibres en matière de développement local persistent. L'écart de développement humain entre ces deux espaces et le nord de l'Algérie est non négligeable. Les mouvements de protestation qui ont touché de nombreuses régions du pays au cours de ces trois dernières années ont d'ailleurs pour origine la non-prise en charge effective des principales préoccupations citoyennes. C'est un fait: nous mangeons la rente qui nous procure une paix sociale précaire et nos neurones se reposent. Le capital humain et l'économie fondée sur la connaissance. Il n'y a pas l'ombre d'un doute qu'une économie fondée sur l'innovation et le savoir peut contribuer à accélérer la croissance économique et à accroître la compétitivité. La réindustrialisation de l'économie est la condition sine qua none à une création de richesses endogène qui diminuera la dépendance tragique actuelle du pays Autant de pistes qui annoncent une rencontre féconde, parce que tournée sur l'avenir. La feuille de route ambitieuse proposée par le Cnes Les constats faits par le Cnes sont durs et courageux. Ils sont à la hauteur des défis à lancer. Les dysfonctionnements sont pointés du doigt: «Aujourd'hui, elle se doit de relever les défis les plus stratégiques allant de la sécurité territoriale à la sécurité alimentaire en passant par l'éducation nationale et la santé. Des défis qui permettront de rendre la société plus stable et plus équilibrée (...) Dans ce contexte mondial où l'anarchie règne en passant outre les instructions onusiennes, il serait intéressant de prendre le mot d'ordre 'sécurité'' comme ligne de conduite dans les travaux du forum.» (2) Le Cnes énumère enfin, les conditions à remplir pour assurer les différentes sécurités: Sécurité territoriale: quelles menaces? Sécurité énergétique: préserver nos stocks pour se projeter dans l'avenir «incertain»!!!!! Sécurité alimentaire: indépendance de l'étranger, diminuer les importations en denrées alimentaires et promouvoir une agriculture durable (diversifier les banques de gènes et des semences) par la préservation. de nos ressources naturelles Sécurité sociale: promouvoir un cadre de vie meilleur, former les générations futures et préserver notre capital humain en compétences pour éviter le choc immatériel à travers l'hémorragie des cerveaux. Sécurité culturelle et cultuelle: promouvoir le réveil des générations actuelles en leur inculquant la vraie culture de leur pays et la vraie religion de leurs ancêtres.»(2) L'avenir de l'Algérie comme je le vois Après l'inventaire et l'anamnèse, il est temps de penser au futur. C'est un immense chantier. Comme contribution à ce brainstorming, deux pistes me paraissent importantes. D'abord, quel régime de croissance voulons-nous. Eu égard à toutes les contraintes internes et externes, j'ai la conviction qu'au delà du projet de société dont il faudra bien débattre un jour pour tracer les fils rouges de l'Etat républicain, deux chantiers qui conditionnent tous les autres et qui sont concomitants, celui de la stratégie énergétique et celui de l'Ecole et plus largement du système éducatif dont le dernier épisode celui du déroulement discutable du baccalauréat. Un plan Marshall pour une stratégie énergétique durable Après plus de cinquante ans de pompage de pétrole et de gaz, nos réserves sont sur le déclin. Pour l'AIE nous avons dépassé le peak oil en 2006. Malgré les effets d'annonce sur les réserves fabuleuses de gaz de schiste en Algérie, il ne faut plus continuer à se bercer d'illusions. Le gaz de schiste est pour le moment et pour l'Algérie une calamité écologique et en termes de besoin d'eau pour un pays en stress hydrique, il faut en effet 15.000 m3 par puits qui doit être fracturé plusieurs fois. Souvenons-nous que pour 1milliard de m3 de gaz, il faut au minimum 1 million de m3 d'eau.. C'est un très mauvais signal que l'on donne aux Algériens, en leur parlant d'opulence. Il risque de renvoyer aux calendes grecques un développement endogène basé sur l'effort, la création de richesse. Le gaz de schiste fera partie du bouquet énergétique à mettre en place. Il sera sollicité quand la technologie sera mâture. la nécessité, voire l'urgence pour l'Algérie de mettre en oeuvre une stratégie pour assurer un développement durable multidimensionnel à l'horizon 2030 fait que nous devons, le dos aux énergies fossiles, de mettre en place une réelle politique d'économie d'énergie, évaluée à plus de 20%, d'aller sans tarder vers un plan Marshall d'énergie renouvelable. Si la transition énergétique n'est pas anticipée, elle sera subie de manière chaotique et provoquera des conséquences économiques désastreuses. Il faut développer nos capacités de production dans tous les domaines économiques et améliorer les services publics et sociaux pour gagner la confiance des citoyens... Sortir de l'addiction aux hydrocarbures, vendre utile avec comme contrepartie, un transfert réel de technologie, consommer sobrement pour diminuer la dépendance à l'extérieur. Une calorie laissée dans le sous-sol est une calorie disponible pour les générations futures. Une calorie exportée doit être adossée aussi à un savoir-faire. A titre d'exemple, nous achetons l'essentiel de l'électroménager en Chine, il est nécessaire d'envisager un réel transfert de technologie avec ce pays, notamment dans le domaine du solaire et de l'éolien. Chacun sait que ce pays est leader mondial dans ce domaine. Nous devons, à la fois acquérir un savoir-faire mais aussi -rapidement- faire en sorte que l'énergie que nous exportons soit chaque fois remplacée par la mise en place de l'installation de sources d'énergie renouvelables. Le rôle de l'université à travers la formation de milliers d'ingénieurs et de techniciens- formation en déshérence qu'il est impératif de réhabiliter- s'avère central dans cette stratégie. Comment former les Hommes Chacun sait que depuis l'indépendance, l'Université est tenue soigneusement à l'écart du développement du pays. Cinquante ans après, l'école devrait être revue pas d'une façon brutale, car le système éducatif est un système à temps de réponse long. Nous ne pourrons pas réussir s'il n'y a pas consensus social sur quelques invariants qui interdiront de faire du système éducatif une caisse de résonnance de projets politiciens alors qu'il s'agit de l'avenir du pays. Justement, il est plus que jamais temps de mettre à plat le projet de société dans l'Algérie du IIIe millénaire, du Web 2.0 en phase avec la marche du monde. Dans tous les cas, il est important d'introduire les sciences rationnelles à travers les disciplines de mathématiques, de sciences physiques. Notamment par la réhabilitation des baccalauréats, mathématiques, mathématiques techniques. De plus, l'apport des technologies de l'information et de la communication est incontournable. Le fameux cartable électronique doit être une réalité qui sera matérialisée par là aussi, un plan Marshall informatique en dotant les élèves d'un laptop (ordinateur) comme l'ont fait des pays comme le Brésil, la Turquie, la Chine. On l'aura compris, le recyclage des enseignants s'avère indispensable en termes d'actualisation des connaissances et de façon de les dispenser. Comment mobiliser le pays, sa jeunesse, il faut le convaincre de la démarche par des débats sur les grandes thèses. L'apport des médias lourds sera déterminant. Le pouvoir s'il veut montrer sa détermination doit libérer la parole. Il est indéniable que les conclusions de ce forum peuvent et doivent servir de route à toutes celles et ceux qui aspirent à la magistrature suprême. Le temps presse, il nous est compté, il faut mettre à profit ce sursis pour mettre en place sans délai les réformes en faisant de nouvelles légitimités. Encore une fois, l'Ecole doit être notre préoccupation de tous les instants. Quand le savoir sera réhabilité, quand l'enseignant sera honoré, quand l'école est un réel ascenseur social, nous sommes sûrs que l'Algérie est définitivement réconciliée avec elle-même et qu'elle est fascinée par l'avenir. L'initiative du Cnes est à bien des égards, une dernière tentative de repartir du bon pied. Donnons lui sa chance, il y va de l'avenir de nos enfants. 1.http://www.flsh.unilim.fr/ditl/Fahey/DIVERTISSEMENTEntertainment_n.html 2.CNES: Document préparatoire au Forum économique et social juin 2013