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Bouteflika face aux émeutiers
FLAMBEE DE VIOLENCE A OUARGLA
Publié dans L'Expression le 24 - 02 - 2004

Hier, les principales artères de la ville ont été quadrillées par un important dispositif de sécurité.
Les efforts de Dahou Ould Kablia, ministre délégué chargé des Collectivités locales, dépêché en catastrophe à Ouargla pour désamorcer la colère populaire n'ont pas abouti. Les trois heures de négociations qu'il a eues samedi avec les représentants des manifestants, n'ont pas eu l'effet escompté. Les Ouarglis ne décolèrent pas. Pire encore, ils ont décidé de radicaliser leur mouvement de protestation à l'occasion de la visite du premier magistrat du pays dans leur wilaya.
Hier, les principales artères de la ville ont été quadrillées par un important dispositif de sécurité. «C'est un décor de guerre», qui rappelle étrangement le 5 octobre. Les journalistes sont appelés à rester regroupés. Aucun déplacement aussi court soit-il ne se fait sans l'escorte de la gendarmerie et de la police. L'hôtel Ennasr, qui a été en partie saccagé par les manifestants, la veille, a été encerclé. C'est le calme précaire qui précède l'éclatement.
Dans les rues de Ouargla, on remarquera des groupes de jeunes dispersés. A priori, ces derniers donnent l'impression d'attendre un signal, un feu vert pour activer la machine de protestation. Les rues se vident étrangement, la circulation des personnes et des voitures se fait très rare. Il est encore 10h.
10h 30. Une foule importante se regroupe au niveau de la rue Si El Houas. S'agit-il de manifestants? La situation risque-t-elle de dégénérer ? Après vérification, nous avons appris que cette marée humaine, composée spécialement d'enfants et de vieux, est venue applaudir le président de la République à l'occasion de son passage pédestre.
Tout est prêt pour réussir le bain de foule du président-candidat. Groupe folklorique, drapeaux multicolores, le baroud, les caméras de l'Entv. L'on remarquera aussi cette présence impressionnante de policiers et de brigade anti-émeutes. Sur les banderoles on lira: «Ouargla tient à la paix et à la réconciliation nationale», «Le FLN soutient Bouteflika», autant de slogans officiels ne disant pas grand chose aux jeunes de la ville qui, eux, ne réclament qu'un poste d'emploi à la Sonatrach.
10h 45. Le cortège présidentiel arrive sur les lieux. Aussitôt, une motion de soutien est lue à Bouteflika au nom des notables de la ville. Ces derniers bénissent la candidature de Bouteflika, lui souhaitant un deuxième mandat. Les organisateurs ont du mal à convaincre la foule à scander des slogans pro-Bouteflika. Les jeunes agités commencent par lancer des sifflements avant d'intégrer le cadre officiel et clamer: «One, two, three, viva l'Algérie», «thania Bouteflika» ou encore le refrain servi à chaque visite: «Ouhda thania».
Au niveau de l'organisation, rien n'est laissé au hasard. Tout le monde est sur les nerfs. Personne n'a droit à l'erreur. La voiture du président, contrairement aux habitudes, est restée très proche de la délégation officielle. Ici on craignait le pire. Bouteflika, comme pour défier les jeunes en colère, n'a pas annulé son bain de foule. Mieux encore, il n'a pas hésité à s'approcher de la foule massée sur le trottoir. Bouteflika serre quelques mains. C'est l'image que montrera la télévision nationale. Les responsables de la communication au niveau de la présidence exhortent les cameramen à zoomer sur les scènes de fête. En marge de ces scènes de liesse, les Ouarglis interrogés persistent et signent: «Il y a de la ségrégation dans le recrutement au sein des sociétés pétrolières.» La visite de Bouteflika semble être leur ultime chance pour convaincre les autorités du pays de résoudre ce problème. «Les archs ont brûlé et saccagé en Kabylie, et ont fini par avoir gain de cause. Nous faisons la même chose à Ouargla», nous dira un jeune.
Un quart d'heure, c'est le temps qu'a duré le bain de foule pour Bouteflika. A 11h, tout bascule dans «l'oasis du Sud». Le calme précaire cède la place à la colère et aux manifestations.
Paradoxalement, le soulèvement s'amorce précisément dans le quartier qui a bien accueilli le président de la République. Si El Houas est en colère, très en colère. Des dizaines de jeunes ont pris d'assaut le commissariat de police de la ville qui se situe à quelques mètres seulement de la résidence du wali. Profitant de l'allègement du dispositif sécuritaire après le passage du président, les manifestants n'ont pas hésité à brûler et saccager les bureaux.
De par ces gestes, les jeunes ont voulu exprimer leur colère contre les services de sécurité qui ont réagi d'une manière brutale à leur encontre. Les manifestants ont exigé la libération de leurs collègues et pourtant, selon des informations recueillies au niveau de la wilaya, les 40 jeunes arrêtés samedi ont été tous libérés dans la soirée. «Ce sont des menteurs», s'écrie un jeune, «il n'ont libéré que les mineurs».
Partout ailleurs, au centre-ville, le même décor nous accueille, la même odeur de pneus brûlés et de bombes lacrymogènes. Une tentative de marche a été avortée à la cité des 304 Logements, non loin du chef-lieu de wilaya.
Les brigades anti-émeutes ont vite fait d'encercler les lieux. Les affrontements ont éclaté entre les CNS et les émeutiers qui n'ont pas hésité à utiliser leurs matraques contre la foule. «Ils nous traitent comme du bétail», atteste un contestataire.
Mais rien ne semble les décourager. Le souk El Hadjar, le tribunal de la ville, ont été les autres cibles visée. Sans oublier les maisons closes. Un scénario qui nous rappelle le brutal assaut contre le quartier El Haycho à Hassi Messaoud en 2001. Trois camions-citernes de Sonatrach ont été attaqués. Les protestations semblent atteindre un point de non-retour. Ces incidents se sont produits au moment où Bouteflika continuait le plus normalement du monde son périple dans la wilaya. Le président ne fera pas la moindre allusion au mouvement de protestation. Approché par nos soins, Yazid Zerhouni s'est abstenu de faire le moindre commentaire sur ce sujet. Saïd Bouteflika emboîte le pas à Chakib Khelil en déclarant que «la colère des Ouarglis est inexplicable», démentant «la ségrégation dans le recrutement» premier objet de la colère des citoyens. 15h. Le président reprend sa visite. Le programme est respecté à la lettre.
L'inauguration de 2000 places pédagogiques d'un poste Sonelgaz et la pose de la première pierre de la route express Ouargla-Hassi Messaoud et une virée dans la zaouïa Kadiria et celle de Sidi Belkhir ont en constitué les principaux points.
Aujourd'hui, Bouteflika sera à Hassi Messaoud, une escale attendue par les habitants de la ville qui espèrent des mesures concrètes au profit des chômeurs. Ces derniers, apprend-on, ont donné un ultimatum d'une semaine aux autorités et menacent de reconduire leur mouvement si l'on ne répond pas à leurs doléances. Hier, Ouargla a évité le pire. Mais les citoyens ont peur de l'avenir.


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