Dans un livre concis et complet, le journaliste Jean Jolly fait un état des lieux de la réalité politique algérienne. L'Algérie vivrait-elle hors du temps? En 2004, le pays confié au président Bouteflika fait face aux défis qui s'imposaient à lui cinq années auparavant. Hormis l'accalmie sur le front sécuritaire - la loi sur la «concorde civile» n'a pas été l'élément déterminant-, les chantiers économiques, la modernisation de l'Etat, les libertés individuelles, la condition féminine...ont stagné. Voire reculé. «L'Algérie de Bouteflika»* fait l'inventaire des réformes incontournables, incompressibles, dont la réalisation est sans cesse reculée. Un ouvrage tout tracé en quête d'hommes de conviction. Courageux. Jean Jolly, journaliste de l'agence Reuters, à la retraite depuis peu, signe un essai très documenté et paisible. Point de pamphlet ni charge contre le Président Bouteflika en dépit du sous-titre déroutant: «La fin d'une époque.» Mais une froide réflexion qui emprunte à son auteur le sens de la mesure propre aux diplomates et ceux qui les fréquentent. Longtemps accrédité au Quai d'Orsay (Paris), Jean Jolly en a hérité du sens de l'observation et de la nuance. Ce qui n'empêche pas la pertinence. «Les Algériens ont changé davantage que l'Algérie», assène-t-il. Cette transformation est qualifiée de «révolution culturelle et sociale sans précédent». Il n'hésite pas à risquer la comparaison avec la mutation de la société française qui a nécessité plus d'un siècle. En face, «le pouvoir politique et économique n'a guère changé». La rupture est profonde avec le pouvoir vieillissant. De l'observation des forces centrifuges qui animent cette société, Jean Jolly, auteur éclectique, en a tiré la conviction que «l'Algérie est condamnée au changement», avec ou sans Bouteflika. Il y a d'abord l'armée «condamnée à la réforme ou à la dictature.» «Politiquement, le haut commandement ne veut pas d'un Etat islamique fondamentaliste. Séduit par le modèle nationaliste turc, il semble prêt à accepter un renforcement progressif du pouvoir civil, mais il s'opposerait à un pouvoir civil qui pourrait porter atteinte à son autonomie de gestion et de réorganisation de l'armée», écrit l'auteur. Ce qui fait d'Abdelaziz Bouteflika un «Président sous surveillance», coincé entre le général Mohamed Lamari, chef d'état-major anti-islamiste, et le général Mohamed Médiène, patron des services de renseignement et de sécurité, «détenteur de dossiers compromettants sur ses collègues, il est intouchable». L'Algérie est également condamnée à mener la réforme de son économie, ses institutions, et ouvrir son marché à l'extérieur. Des actions qu'aurait souhaitées le Président. «Bouteflika a perdu une bataille lourde de conséquences pour l'avenir du pays.» En renonçant aux réformes, «il a déçu les libéraux algériens et les investisseurs étrangers qui avaient misé un peu imprudemment sur lui». Jean Jolly pronostique la réélection de Bouteflika le 8 avril. Ali Benflis, son rival, n'aurait pas laissé indifférents des responsables français. Le silence est de mise cependant à Paris. Le patron du FLN est décrit dans le livre comme un «homme neuf». Il est aussi un homme de compromis. Jan Jolly y voit «un homme de consensus avec les militaires qui veulent une immunité totale s'ils se retirent de la vie publique», mais aussi avec les islamistes «pour lesquels il pourrait faire voter une nouvelle loi d'amnistie». Vu de Paris, le jeu des probabilités semble pencher en faveur du Président sortant. La question qui taraude est celle du taux de participation des électeurs algériens tentés par le désintérêt face à la politique. Un Bouteflika II mal élu serait un cadeau empoisonné pour le candidat et pour ceux qui seront contraints de faire avec. L'auteur rapporte cette confidence du général Lamari à un diplomate européen: «Ces élections seront sales, longues et dures.» «L'Algérie de Bouteflika» est aussi un ouvrage à destination des Français tentés par un divorce avec leurs «alliés naturels». Alliés politiques et espace économique vital. La menace étasunienne menace. Espace économique euro-maghrébin, sécurité en Méditerranée... L'avenir de l'Europe est lié a l'Afrique du Nord. «Mon livre est une façon de dire aux Français qu'il faut faire quelque chose avec l'Afrique du Nord, notamment l'Algérie. Que les méchants ne sont pas toujours les mêmes. Que rien n'est noir ou blanc.» de Notre bureau à Paris