Le leader d'Ennahda, Rached Ghannouchi, et l'ancien Premier ministre, Beji Caid Essebsi, chef de Nidaa Tounès, semblent avoir enfin pris langue Les opposants tunisiens (Nidaa Tounès en accord avec le Front du salut national), ont admis avoir des contacts avec les islamistes au pouvoir. Ce que le chef d'Ennahda, Rached Ghannouchi, a confirmé. Les islamistes au pouvoir en Tunisie et leurs détracteurs ont reconnu hier pour la première fois avoir eu des pourparlers directs en secret, près d'un mois après le début d'une profonde crise politique déclenchée par l'assassinat d'un opposant. Le parti de centre-droit Nidaa Tounès a reconnu la tenue de pourparlers cette semaine lors d'une tournée en Europe de son chef, un ex-Premier ministre post-révolutionnaire Beji Caïd Essebsi, ennemi juré des islamistes pour avoir travaillé avec le président déchu en 2011, Zine El Abidine Ben Ali, et sous Habib Bourguiba, père de l'indépendance tunisienne. Le chef du parti islamiste Ennahda, Rached Ghannouchi a confirmé sur sa page Facebook une entrevue le 15 août qui avait été «positive et franche», sans plus de précisions. Selon des médias tunisiens, la rencontre a eu lieu à Paris. Aucun des partis n'a expliqué pourquoi ils n'avaient pas admis plus tôt l'existence de tels contacts, d'autant que M.Ghannouchi avait nié avec véhémence cette semaine avoir quitté la Tunisie pour des consultations à l'étranger. Nidaa Tounès a par ailleurs indiqué avoir pris part à ces pourparlers en accord avec le Front de salut national (FSN), l'hétéroclite coalition d'opposition allant du centre-droit à l'extrême gauche qui organise la contestation depuis près d'un mois aprè l'assassinat du député Mohamed Brahmi. Les détracteurs du pouvoir disaient jusqu'à présent exclure toute négociation tant que le gouvernement dirigé par Ennahda n'avait pas démissionné, et les islamistes avaient affirmé refuser tout pourparler tant que l'opposition ne renonçait pas à cette revendication. Ennahda, à la lumière des violences en Egypte, a même haussé le ton ces derniers jours et accusé les opposants de préparer un coup d'Etat en s'inspirant du renversement par l'armée du président islamiste Mohamed Morsi. La vie politique tunisienne est paralysée depuis la mort de Brahmi, attribuée à la mouvance jihadiste, et aucun compromis ne semble se dessiner. Les travaux de l'Assemblée nationale constituante (ANC) sont gelés depuis près de deux semaines dans l'attente d'une issue consensuelle. Ennahda a réuni depuis samedi son parlement interne pour étudier «des initiatives» visant à sortir de cette impasse. Des négociations sont aussi prévues aujourd'hui avec le puissant syndicat UGTT, fort de 500.000 membres et capable de paralyser le pays avec des grèves. Les opposants réclament un gouvernement apolitique et la dissolution de l'ANC, tandis que les islamistes ne sont prêts qu'à élargir le gouvernement à d'autres partis en vue de former un cabinet d'union nationale. Ennahda promet aussi l'adoption de la Constitution avant la fin octobre - soit avec un an de retard - et des élections d'ici la fin 2013. Mais une multitude de calendriers de ce type ont été annoncés ces derniers mois sans jamais être respectés, faute de consensus sur la loi fondamentale et la législation électorale. L'UGTT, soutenue par le patronat, a adopté pour sa part une position médiane, plaidant pour un gouvernement apolitique et le maintien de l'ANC pour qu'elle achève enfin la Constitution. Le gouvernement est accusé d'avoir failli sur le plan sécuritaire face à l'essor de la mouvance salafiste, mais aussi dans le domaine économique, alors que les revendications sociales étaient au coeur de la révolution de janvier 2011. Un premier gouvernement dirigé par Ennahda avait déjà été poussé à la démission après l'assassinat de l'opposant Chokri Belaïd en février, attribué lui aussi à la mouvance jihadiste. Le commanditaire de ce meurtre et de celui de Brahmi n'a jamais été identifié, les tireurs sont toujours en fuite et seuls des complices ont été arrêtés.