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« Barbares ? »,
avez-vous dit M. Chirac 1ER NOVEMBRE
Publié dans L'Expression le 03 - 11 - 2001

La commémoration du 47e anniversaire du déclenchement de la Révolution armée, un certain 1er Novembre 1954 - date phare de notre Histoire - devrait appeler tous les Algériens à communier, entreprendre un travail de mémoire et accomplir les actes de gratitude et de reconnaissance à l'égard de tous ceux qui ont contribué - et pour un million et demi d'entre eux par le sacrifice suprême - à la libération de l'Algérie.
Pour ma part, j'ai été stupéfait par les propos insultants du président de la République française à l'égard du FLN historique, taxé tout simplement de «barbare». C'est devant les faiblesses - voire l'absence de réaction du côté algérien - que je me suis livré à ces quelques réflexions en guise de réponse à M.Chirac.
Après quarante longues années de silence (d'amnésie?), le président de la République française marque son intérêt pour la communauté harkie. Le fait serait passé inaperçu n'était la très grave accusation portée par la plus haute autorité française contre le FLN historique rendu responsable des malheurs de cette communauté qui s'était ralliée corps et âme à l'ennemi d'hier.
Aucune considération politicienne ou électoraliste ne saurait justifier la perversion de l'Histoire. Et puisque le terme de «barbarie» a été utilisé, voyons de quel côté, elle se situait.
Afin de prévenir toute contestation, je ne citerai que les témoignages d'officiels et d'officiers français, acteurs directs du martyre du peuple algérien.
Durant sept années et demie de guerre, rien n'a été épargné au peuple algérien: de l'usage massif du napalm à l'institutionnalisation de la torture, des viols, des exécutions sommaires, des centres de regroupements (véritables camps de concentration) aux zones interdites, aux infernaux barrages électrifiés bourrés de mines antipersonnel qui tuent encore aujourd'hui.
Oui, M.le président, à ce jour des Algériens - pour la plupart des enfants - meurent victimes de ces mines que l'armée coloniale n'a pas eu la décence (ou n'a pas reçu d'instructions?) de nous débarrasser au moment où elle quittait enfin notre pays.
Tout cet arsenal répressif n'ayant pas suffi «à imposer le calme», l'armée d'occupation, qui disposait des «pouvoirs spéciaux», - c'est-à-dire de tous les pouvoirs, suite à la démission du pouvoir civil et pour ajouter aux tourments du peuple algérien - a créé ce corps de supplétifs, les harkis, pour l'assister dans sa politique de génocide.
Ces auxiliaires zélés - de sinistre mémoire pour tous les Algériens - s'évertuaient à dépasser leurs maîtres dans l'horreur.
Ils ne laissaient que mort et désolation sur leur passage. Mais après que le peuple algérien eut imposé son droit à l'indépendance et que le gouvernement français eut signé avec les «barbares» du FLN - désormais reconnu comme représentant exclusif du peuple algérien en armes - les accords d'Evian consacrant ce droit, nous vécûmes le summum de l'ignominie et de la sauvagerie.
Les hordes des tueurs de l'OAS, organisation fasciste créée par une fraction de l'armée française, s'appliquaient à pratiquer la «politique de la terre brûlée» semant la mort et la haine par des actes où la lâcheté le disputait à la bestialité. Comment qualifier l'assassinat de malades sur leurs lits d'hôpital, l'incendie de bibliothèques et d'autres crimes, dont le meurtre du grand écrivain Mouloud Feraoun n'est pas des moindres?
En se repliant d'Algérie, l'armée française d'occupation reçut des ordres officiels émanant des plus hautes autorités de l'Etat français, d'avoir à désarmer et à abandonner sur place les harkis. Tel cet officier qui, après avoir réuni sa «harka», l'invita à lui remettre les armes en lui annonçant qu'ils étaient «mutés» ailleurs avant de disparaître dans la nature.
Et ces harkis, parvenus par leurs propres moyens en France, furent réembarqués de force vers leur point de départ!
Les documents officiels et les témoignages tant d'officiers français que de supplétifs abondent. Nombre de harkis n'ont eu la vie sauve face à la vindicte populaire que grâce à l'intervention des militants du FLN. Là aussi - et même du côté harki - les témoignages sont légion.
En fait la France ne voulait pas de ces «soldats de pacotille» (dixit le général de Gaulle) ; de ces «Français sur papier timbré» selon cette gouape de Le Pen et ses acolytes.
Il appartient aux gouvernants français d'assumer les conséquences de leur politique et non pas de tenter de se dédouaner par des faux-fuyants et des contrevérités.
En choisissant leur camp, les harkis ont choisi leur destin. A eux d'en subir les contrecoups.
Les conditions d'accueil et de vie réservées aux harkis parvenus en France sont suffisamment connues. S'agissant d'un problème franco-français nous ne ferons pas de commentaire.
Qu'il nous suffise de citer ce chantre de la collaboration avec l'ennemi que fut le bachagha Boualem qui déclarait en juillet 1979 (Nouvel Observateur): «Entre l'Algérie et la France, j'ai choisi la France. Aujourd'hui je le regrette». Quel aveu!
Mais puisqu'on a osé parler de barbarie concernant l'Algérie, voici quelques témoignages irréfutables qui permettront de situer de quel côté elle se trouvait.
Dès juillet 1833 une commission d'enquête désignée par le roi de France concluait : «Nous avons profané les temples, les tombeaux, l'intérieur des maisons, asile sacré chez les musulmans (...) Nous avons massacré des gens porteurs de sauf-conduits, égorgé sur un soupçon des populations entières qui se sont ensuite avérées innocentes (...). Nous avons décoré la trahison du nom de négociation, qualifié d'actes diplomatiques de honteux guet-apens. En un mot, nous avons débordé en barbarie les barbares que nous venions civiliser!»
Au moment où l'émir Abdelkader libérait ses prisonniers parce qu'il ne pouvait plus assurer leur entretien, le duc de Rovigo intimait à sa soldatesque: «Apportez des têtes, des têtes. Bouchez les conduites d'eau avec la tête du premier bédouin que vous rencontrerez !»
Et le colonel Montagnac qui promettait des coups du plat de son sabre à tout soldat qui ramènerait un prisonnier vivant confie: «Pour chasser les mauvaises idées qui m'assiègent quelquefois, je fais couper des têtes!»
De ce même criminel: «Nous rapportons un plein baril d'oreilles récoltées paire à paire sur les prisonniers amis ou ennemis. Il contient même celles d'un de nos gendarmes, mort de maladie. Deux pièces de cent sous ne sont pas à dédaigner.»
Les pillages des maisons et des palais, le sort atroce réservé aux femmes et aux enfants, les enfumades de populations entières commises par les Saint-Arnaud, Cavaignac et autres Pélissier, ont leur place dans l'anthologie de l'horreur ainsi que l'infâme code de l'indigénat qui a régi la vie des Algériens, le massacre de 45.000 Algériens au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en récompense au sang versé par leurs frères pour contribuer à la victoire des Alliés.
Plus près de nous, la guerre de Libération nationale où de nouveau la France coloniale usa et abusa des procédés les plus abjects, les plus inhumains, en un mot les plus barbares. Nous nous contenterons de vous renvoyer aux «aveux» même incomplets, tendancieux et bourrés de mensonges, de ce criminel de guerre qui a pour nom Aussaresses, ce «fanfaron du crime» (Robert Badinter).
Vous souvient-il également du 17 octo-bre 1961, et des massacres commis au coeur de la capitale française?
Parmi les arguments poussiéreux que ne cessent de brandir les « ultras » pour tenter de justifier l'injustifiable, c'est l'amalgame fait entre occupants et occupés, entre victimes et coupables.
Dans «Guerre et paix entre les nations», Raymond Aron qualifie les guerres de libération de conflits infra-étatiques c'est-à-dire des guerres opposant des Etats disposant de tous leurs attributs, la France en la circonstance, à un mouvement de libération, le FLN, agissant dans la clandestinité. De ce fait, le parallèle entre les deux belligérants ne saurait être établi.
L'histoire et le procès du colonialisme restent à faire et se feront quels que soient les atermoiements des uns et l'opposition des autres.
En tout état de cause, les âmes des millions de victimes du colonialisme ne cesseront de venir frapper à la porte de la France coloniale tant que les devoirs de mémoire, de vérité, de justice, de reconnaissance, de pardon et de compensation morale et politique n'auront pas été accomplis à leur égard.
C'est à ce prix que le contentieux historique, qui oppose notre pays à la France, sera apuré et que nous pourrons enfin, dans la sérénité retrouvée, développer la véritable et fructueuse coopération que nos peuples appellent de tous leurs voeux.


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