Lorsque les hommes, pour aider la cause du peuple, ont la mémoire bonne, la conscience tranquille et la parole vertueuse. Et ce n'est sans doute pas encore suffisant, car l'Histoire, dirait le sage, n'est en vérité que de la parole humaine. Toutefois, fort instruit par la vie, cet esprit peu commun comprend que l'amour de la liberté et de la justice rend à jamais fraternels les hommes de conscience. Cette réflexion est, à mon sens, largement illustrative des faits historiques rapportés par le moudjahid écrivain Djoudi Attoumi dans son ouvrage-témoignage Les Appelés du contingent, ces soldats qui ont dit non à la guerre. (*) Dans un précédent ouvrage Chroniques des années de guerre en Wilaya III, (Kabylie), 1956-1962, l'auteur nous a fait déjà connaître son sentiment sur «l'écriture de l'histoire de la Révolution» et a borné son ambition: «Témoigner sur l'histoire de la guerre de Libération nationale est un labeur difficile et non sans embûches [...]. En effet, écrire, c'est transmettre aux autres ce que l'on sait, ce que l'on a vécu, ce qu'ont subi les Moudjahidin et les populations tout au long de cette terrible guerre [...]. Il y a tellement de faits qui reviennent peu à peu et dont on se rappelle à peine, comme cachés dans des cases, qu'il faudrait investir les unes après les autres pour les retrouver, les faire sortir et enfin les faire parler.» Dans le présent ouvrage, l'ancien officier de l'Armée de libération algérienne (de1956 à 1962) qui, dès son engagement, a été affecté auprès du colonel Amirouche, témoigne d'un aspect peut-être peu connu du grand public en Algérie et surtout presque totalement ignoré de celui de France; et il s'agit des «Appelés du contingent, «ces soldats qui ont dit non à la guerre». En effet, ayant longtemps parcouru les maquis algériens et très proche des djounoûd et des populations des campagnes, Djoudi Attoumi a pu avoir connaissance non seulement des exactions terribles et courantes commises par l'armée coloniale française contre le peuple algérien mais aussi des prises de conscience nombreuses «de jeunes appelés qui se sont dressés contre leurs chefs pour mettre fin à des séances de torture», pour dénoncer «les corvées de bois» et pour «même éviter parfois des exécutions sommaires». Telle est cette «face cachée de l'armée coloniale française pendant la Guerre d'Algérie» que Djoudi Attoumi, en toute conscience et surtout en toute amitié à l'égard du peuple français qui était tenu, par ses dirigeants de l'époque, dans l'ignorance des vrais «événements d'Algérie», a tenu à décrire scrupuleusement et sans aucune fioriture de style ou de fausse sincérité de complaisance pour moins heurter des amitiés nouvelles. Entre peuples sains et libres, on peut tout se dire, tout comprendre, ainsi que dans les grandes amours qui cimentent les coeurs et les esprits enchantés par un trait d'union humaniste insécable. Aussi, ai-je la joie de lire, sans oublier la souffrance des uns et des autres, ceux d'ici et ceux d'ailleurs, ces lignes que Djoudi Attoumi a eu raison de mettre en épigraphe à son ouvrage et qui raniment ceux qui ont dans le coeur le coeur de l'autre semblable: «Quand l'Algérie sera indépendante, on comprendra que nous avons fait du bon travail. À l'heure de la paix, de la réconciliation et de la coopération, on reconnaîtra que loin d'être des traîtres, nous avons été des traits d'union, nous avons montré aux Algériens un autre visage de la France.» Ainsi s'exprimait devant ses juges militaires, l'un de ces amis de l'Algérie qui avait opté pour aider la cause du peuple.» L'auteur avise son lecteur où qu'il vive, d'entrée dans son ouvrage Les appelés du contingent, ces soldats qui ont dit non à la Guerre d'Algérie - Une face cachée de l'armée coloniale française pendant la guerre d'Algérie. Il écrit: «Ce livre se veut être un témoignage sur la masse des appelés du contingent qui ont participé à la guerre d'Algérie: 2.750.000 jeunes citoyens français. De janvier à juin 1956 (en 6 mois seulement), 288 appelés ou rappelés ont été tués, 537 blessés et 22 portés disparus. Il y eut également 133 morts et 585 blessés pour autres causes! C'est dire le lourd tribut payé par ces jeunes appelés du contingent sur lesquels a pesé en grande partie cette guerre. Il s'agit là d'un regard de plusieurs combattants de l'ALN, de militants du FLN ou simplement de civils sur le comportement étonnant de certains appelés. Nous ne parlons pas de tous les appelés, puisque plusieurs d'entre eux se sont même rendus coupables de crimes de guerre. [...] C'est pour nous un devoir de témoigner sur ceux qui ont défendu notre cause aux moments les plus difficiles, afin que ces nombreux hommes de coeur aient leur place dans l'histoire de notre guerre d'indépendance.» Cette découverte, l'ancien moudjahid de l'ALN, il l'explique volontiers: «Six années seulement après la guerre, j'avais été appelé, à la suite d'un concours passé à l'ambassade de France à Alger, à effectuer des études à l'Ecole Nationale de la Santé Publique de Rennes (France. C'était en 1968. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir des Français de France: pour la première fois des gens tolérants, humains et aux idées pas du tout colonialistes contrairement aux Européens d'Algérie que j'avais eu l'occasion de côtoyer avant de rejoindre le maquis en 1956. Ce fut alors l'occasion pour moi de lier amitié avec nombre d'entre eux.» Vingt-sept chapitres, leur sont consacrés, et le vingt-huitième est réservé à l'acte courageux, héroïque même de l'Association des Anciens Appelés en Algérie et leur Amis Contre la Guerre. On y retrouvera, suivant un ordre logique de présentation, des acteurs «amis bons» et quelques «ennemis mauvais». Parmi eux, on relève, dans les récits, les descriptions de scènes de combats et des photos d'époque, des noms, des détails sur des opérations militaires et des témoignages de soldats prisonniers, entre autres le cas du lieutenant Dubos... Toutes ces «victimes» de la guerre d'Algérie ne sont pas oubliées par les plus anciens de nos populations, par exemple, l'adjudant Mahdjoub, l'aspirant Maillot, le général Pâris de Bollardière, les appelés prisonniers chez le colonel Amirouche, le calvaire des combattants de l'ALN faits prisonniers, le caporal-chef Vela, Michel Launay, ceux du bagne de Tin Fouchi,... L'Histoire rappellera, en tout temps de guerre, leur souvenir. On peut lire dans Le Nouvel Observateur du 1er au 7 mars 2012, sous le titre «Les souvenirs brûlés des soldats du Soleil», cet extrait: «Ils avaient 20 ans, étaient fils d'ouvriers, ne savaient rien de la mort. Appelés pour «pacifier» l'Algérie, ces gamins de Saint-Etienne ont vécu l'horreur d'une guerre qui les hante encore.» N'est-il pas temps, d'écouter les voix humaines, saines et belles s'élever de part et d'autre de la Méditerranée et qui disent une espérance d'amitié et de reconnaissance mutuelle d'une injustice commise sur un peuple envahi, assujetti, spolié, exploité, enfin libéré du colonialisme au prix d'un lourd tribut du sang? Justice doit être aussi ainsi rendue aux «Appelés du contingent français, ces soldats qui ont dit non à la guerre», acte digne qui dénonce et foudroie la loi spécieuse du 23 février 2005, notamment en son insidieux article 2: «Les aspects positifs de la colonisation.» Or, comme l'écrit Djoudi Attoumi, à raison, «L'Algérie a toujours tenté un rapprochement entre les deux pays, dans le strict respect de la souveraineté de chacun». On tient chez nous ce propos même envers l'ami, surtout envers l'ami: «Un peu de moi à toi, et réciproquement, c'est correct. Mais si c'est uniquement de moi à toi, il y aura rupture. Man andî ou man andak tenteba; Ouallâ ghayr man andî taneqata.» (*) Les Appelés du contingent, ces soldats qui ont dit non à la guerre de Djoudi Attoumi, L'Harmattan, Paris, 2012, 218 pages.