Azzi Albert Nallet Djoudi Attoumi - Abdelmadjid Claude Juin L'histoire a eu la part du lion à l'occasion du Festival de la littérature et du livre de jeunesse (Feliv). Le public de Tizi Ouzou a effectivement été gâté par l'organisation de plusieurs tables rondes sur l'histoire de la guerre de Libération. Plusieurs personnalités du monde de la littérature et des anciens moudjahidine se sont donné rendez-vous dans la petite salle de la Maison de la culture Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou pour parler justement de cette période douloureuse de notre histoire. Le public a eu plus que ce qu'il espérait. La table ronde de mardi, animée par Yahia Boubekeur, était en fait une leçon par l'image. Pas uniquement une leçon d'histoire, mais une magistrale leçon d'humanisme dans tous ses sens. D'anciens combattants de l'ALN (Armée de libération nationale) se sont attablés dans une ambiance conviviale faite d'une estime réciproque avec d'anciens soldats de l'armée française pour évoquer une période aussi douloureuse que compliquée pour les deux parties. Djoudi Attoumi, ex-officier de l'ALN, auteur de Avoir vingt ans dans les maquis, Albert Nallet, ancien appelé de l'armée française en Algérie, auteur de On n'efface pas la vérité, Claude Juin, écrivain, universitaire (Ehss) auteur de Soldats tortionnaires. Guerre d'Algérie: des jeunes gens ordinaires confrontés à l'intolérable ainsi que Madjid Azzi, ancien officier de l'ALN, auteur de Parcours d'un combattant de l'ALN, ont raconté leurs expériences personnelles chargées d'histoire. Dans une ambiance conviviale, les quatre personnages ont répondu à des questions posées par des lycéens des établissements de Tizi Ghennif. La guerre, ce n'est pas facile de la vivre et encore moins de la faire. Des deux côtés, français et algérien, les souffrances étaient grandes. Des blessures et des souvenirs douloureux continuent encore d'obscurcir l'avenir des relations des deux pays et des peuples. Abdelmadjid Azzi «Nous sommes devenus des chirurgiens sur le terrain» Pour l'auteur de Parcours d'un combattant de l'ALN qui était également syndicaliste des chemins de fer avant de rejoindre l'ALN dans l'Akfadou, en 1956, le service de santé de l'ALN était peut-être caché derrière le rideau, mais il était très efficace. Madjid Azzi rappellera quelques détails d'une importance capitale pour les historiens. Les dirigeants de la lutte armée n'ont, selon l'orateur, pensé à l'organisation du service de la santé, qu'après le Congrès de la Soummam qui l'a d'ailleurs carrément oublié dans sa structuration. Jusqu'à aujourd'hui, pour une grande partie, le service de santé de l'ALN continue d'être un aspect méconnu. L'ancien soigneur des moudjahidine à Ouzellaguen livrera des témoignages poignants de cette période. Avant l'organisation de ce service, les grands blessés, pour éviter d'être prisonniers de l'ennemi, étaient achevés. Certains demandaient eux-mêmes cette sentence. A l'adresse des jeunes qui ont rempli la petite salle, Madjid Azzi préconisait vivement de lire le Code de l'indigénat pour avoir la mesure de la différence entre l'époque du colonialisme et celle de l'indépendance. Il préconisera même d'enseigner à l'école ce code qui faisait de l'Algérien une personne passible de prison rien que pour avoir regardé d'un mauvais regard un Français d'Algérie. Djoudi Attoumi «C'est Amirouche qui m'a conduit à l'écriture» Pour ce compagnon de route d'Amirouche, l'histoire n'est pas l'exclusivité des moudjahidine. Djoudi Attoumi qui répondait à des questions des lycéens livrera, de son côté, des témoignages précieux sur le colonel Amirouche et des événements qui ont marqué la guerre de Libération. Pour l'orateur, Amirouche n'était pas uniquement le héros de la Kabylie, mais de toute l'Algérie. A ceux qui l'accusent d'avoir été contre les intellectuels, son compagnon encore en vie rétorquera que c'est archifaux. Sur l'ensemble des intellectuels accusés de travailler pour l'ennemi, seulement quatre étaient impliqués et libérés par la suite. C'était lui qui m'a conduit à l'écriture. C'est l'attente déçue d'écrits pour corriger ce mensonge qui m'a incité à écrire moi-même sur Amirouche. Le manuscrit, raconte Djoudi Attoumi, a été jeté par l'éditeur lorsqu'il lui a été remis sur la table. Mais, en fait, Amirouche disait qu'il venait en Tunisie pour donner un grand coup de balai et ses propos sont parvenus aux oreilles de ses ennemis. Attoumi dira aussi que l'opération Jumelles a été infernale et Amirouche en avait une idée prémonitoire. Il avait instruit de préparer des casemates et de stocker le maximum de vivres. Djoudi Attoumi, répondant en tant qu'animateur de la table ronde considérait, par ailleurs, que les moudjahidine n'étaient pas responsables de la situation actuelle de notre pays. La jeunesse n'a pas été élevée dans les mêmes principes que la génération qui a fait la guerre d'où la nécessité, pour lui, que tout le monde se ressaisisse pour un sursaut national. Claude Juin «Nous sommes là avec nos matériaux et témoignages» Les souffrances ne sont pas moindres comme les témoignages ne sont pas de moindre importance de l'autre côté. Pour cet ancien soldat qui a fait la Guerre d'Algérie aux Issers, les jeunes appelés de l'époque étaient confrontés à une réalité intolérable. «Ces jeunes, de différentes cultures et éducation, croyaient être venus pour faire du bien à ce peuple qui était incapable de se gouverner par lui-même. Tout était, en fait, fait pour nous conditionner à une certaine façon de voir dégradante de l'Arabe. Réduits, en France, à faire les boulots que les Français dédaignaient, les Algériens étaient vus comme des êtres de moindre zone. Les jeunes appelés étaient bourrés d'idées du genre au point de croire qu'ils venaient en Algérie pour remettre de l'ordre en chassant les bandits et les terroristes. Mais, en fait, poursuit Claude Juin, les horreurs vécues sous l'occupation allemande, les jeunes appelés les reproduisaient tout en refusant ces missions. «Nous sommes là, avec nos matériaux, témoignages et journaux intimes, pour l'avenir», conclut-il. Albert Nallet «Je faisais partie de ces jeunes, qui étaient contre la guerre» Un avenir qu'Albert Nallet voit meilleur après la nécessaire signature du Traité d'amitié. Appelé dans l'armée française à Larbaâ Nath Irathen entre 1956 et 1957, le jeune communiste affirmait qu'il souffrait et a vu beaucoup de gens souffrir et cela lui a fait trop de mal. Albert Nallet évoquera devant l'assistance des témoignages poignants. Tout ce qu'il a vécu se trouve, raconte-t-il, dans un journal intime qu'il tenait quotidiennement. «Je faisais partie de ces jeunes, certes minoritaires, mais qui étaient contre la guerre», dira-t-il. L'orateur se remémorera d'ailleurs une anecdote qu'il raconta à l'assistance. Devant un mur d'un village à Djemaâ Saharidj, les soldats français, dont il faisait partie, décou-vrent un écriteau où était mentionné «Vive les moudjahidine, vive l'Algérie, les soldats français meurent pour rien.» A l'ordre d'effacer, Nallet rétorquera qu'on effaçant l'écriteau on n'efface pas la vérité. Pour cet ancien soldat, c'est à la jeunesse des deux côtés d'imposer de nouveaux rapports et façons de voir les choses.