Interdits de mondiaux, suspendus ou exclus de leurs équipes, plusieurs sportifs égyptiens payent aussi le prix de leur soutien aux islamistes, cibles d'une répression menée par le pouvoir installé par l'armée depuis qu'elle a destitué le président Mohamed Morsi. Le club de foot d'Al-Ahly, adulé au Caire, a suspendu Ahmed Abdel Zaher du Mondial des clubs et annoncé vouloir vendre son attaquant qui, après avoir marqué un but en finale de la Ligue des champions africaine le 10 novembre, a levé quatre doigts en l'air, le signe de ralliement des pro-Morsi. Il avait pourtant assuré la victoire ce soir-là contre les Orlando Pirates sud-africains. Puis Al-Ahly n'a pas hésité à s'en prendre à sa vedette, Mohamed Aboutrika. Connu pour son soutien aux islamistes, le joueur chouchou des Egyptiens a écopé d'une amende pour ne pas s'être présenté à la remise des médailles après le match. Les arts martiaux ont eux aussi fait les frais du mélange des genres: Mohammed Youssef a été suspendu deux ans pour avoir arboré un T-shirt orné des quatre doigts en l'air lorsqu'il recevait sa médaille d'or dans un tournoi international en Russie. "Rabaa (quatrième en arabe)" évoque la place Rabaa où, le 14 août, soldats et policiers ont tué plusieurs centaines de manifestants pro-Morsi au coeur du Caire. Un massacre qui a marqué le début d'une implacable répression ayant fait, à ce jour, plus d'un millier de morts et envoyé derrière les barreaux plus de 2.000 Frères musulmans, la confrérie de M. Morsi lui-même détenu et poursuivi en justice. Premier président élu démocratiquement en Egypte, M. Morsi a été destitué et arrêté le 3 juillet, l'armée invoquant les millions de manifestants descendus dans la rue trois jours plus tôt pour exiger le départ de celui qu'ils accusaient de vouloir islamiser à marche forcée la société. Depuis, la grande majorité de l'opinion publique soutient les nouvelles autorités dans leur "guerre contre le terrorisme" visant les Frères musulmans. Relation 'inextricable' entre sport et politique Pour James Dorsey, de l'Ecole d'études internationales S. Rajaratnam à Singapour, les suspensions de sportifs s'inscrivent dans le cadre "des efforts d'un régime autocratique pour contrôler la totalité de l'espace public". La suspension de Zaher en particulier, explique cet expert du football arabe, "montre au grand jour la relation inextricable entre le sport et la politique" en Egypte. "Les idées islamistes n'ont absolument pas droit de cité dans les médias (...) et si quelqu'un sort du discours officiel, il devient une menace potentielle", renchérit Shadi Hamid, spécialiste de l'Egypte au Brookings Doha Center. "L'exclusion de ces joueurs est clairement politique. Si un joueur brandissait un portrait du général Abdel Fattah al-Sissi, serait-il inquiété par les autorités? Cela serait vu comme un acte patriotique", poursuit-il, en référence au commandant en chef de l'armée, ministre de la Défense et véritable homme fort du pays. Mais, soulignent les experts, la politique ne s'est pas invitée sur les terrains de sport avec la dernière crise. Déjà sous les trois décennies de présidence de Hosni Moubarak, chassé du pouvoir début 2011 par une révolte populaire, "la majorité des joueurs le soutenaient car il les couvrait de cadeaux à chaque victoire", rappelle M. Dorsey. "Pour Moubarak, c'était une façon de s'associer à la culture populaire la plus partagée dans l'espoir de bénéficier des retombées positives du jeu pour redorer son image ternie". Mais alors qu'il cherchait à bénéficier du foot, c'est aussi du foot qu'est venue sa chute. Les ultras, ces supporters friands d'affrontements notamment avec la police, ont joué un rôle crucial dans la révolte qui a gagné l'Egypte dans le tumulte du Printemps arabe. Moins d'un an plus tard, les ultras étaient de nouveau en première ligne dans les manifestations, cette fois contre l'armée qui a assuré l'intérim du pouvoir entre le départ de M. Moubarak et l'élection de M. Morsi en juin 2012. Puis, en février 2012, des heurts entre fans des clubs d'Al-Ahly et d'Al-Masry avaient fait plus de 70 morts, en majorité des ultras, à Port Saïd dans le plus grand drame de l'histoire du football égyptien. La politique a également fait irruption dans le foot quand l'équipe nationale a essuyé une lourde défaite (6-1) contre le Ghana le 15 octobre lors du match aller des barrages pour la Coupe du monde. Dans de furieux échanges de tweets, des pro-Morsi sont allés jusqu'à parler d'une punition contre le nouveau pouvoir.