Depuis les attentats antiaméricains du 11 septembre, la mouvance islamiste paraît très perplexe, voire effacée. Cela est le côté visible des choses, car la réalité est tout autre. Bien que le contexte politique international n'offre pas une marge de manoeuvre conséquente, les principaux leaders islamistes ont, chacun de son côté, développé une «politique de disette», sorte de stratégie politique en temps de vaches maigres. Si Benhadj, du fond de sa cellule, continue à distiller des propos qui n'offrent pas une vue synoptique sur la conception politique à laquelle il a abouti après dix ans de prison, son charisme reste un des derniers repères auxquels s'accroche ce qui reste de l'ex-FIS. En stigmatisant au passage d'une phrase Abdelkader Boukhamkham, il veut relancer l'idée d'un congrès à l'étranger dans l'immédiat. Contacté par téléphone, Ali Djeddi dit ignorer totalement le contenu des propos attribués par le quotidien arabophone El-Youm, et estime que, en l'état actuel des choses, il ne lui est pas possible de s'exprimer sur la situation que vit le pays. De son côté, le docteur Taleb Ibrahimi va entreprendre une autre initiative afin de relancer son parti, le Wafa, interdit d'activer par le ministère de l'Intérieur, il y a près d'un an. Le capital électoral, qu'il a gagné lors des présidentielles de 1999, semble perdu et presque irrécupérable. Les milliers de gens, qui l'ont soutenu à bras-le-corps, restent, à ce jour, étonnés de la légèreté avec laquelle il avait «abdiqué» et annoncé lui-même la mort de son parti. Mahfoud Nahnah, qui, seul, garde les coudées franches, s'est, quant à lui, exprimé, hier, avec un aplomb qui en dit long sur les dispositions actuelles de l'homme et de son parti. Non seulement il veut que le MSP soit le seul grand parti constitutionnel, encore en lice dans les prochaines élections, mais aussi il veut éliminer tous les «insurrectionnels» qui peuvent, à un degré ou à un autre, freiner la percée «hamassiste». L'autre parti présent avec le MSP dans le gouvernement, Ennahda, multiplie les sorties par le biais de son président, Adami. L'approche des échéances électorales risque de coûter cher au parti face au péril que représente Djaballah. Son parti, le MRN, promet de ne laisser «que des plumes» à son ex-alter ego, dont les joutes au sein même de l'Assemblée ont été très appuyées. Dans tout le magma politique et sécuritaire que produit la mouvance islamiste, il faut retenir aussi le congrès de l'ex-FIS à l'étranger, et qui continue à entretenir une sorte d'épouvantail aux mains de ses tenants. Du point de vue purement «technique», ce congrès, déjà compromis par de grosses divergences de fond et de forme au sein des leaders, est devenu presque «utopique» et carrément «irréaliste» depuis les attentats du 11 septembre. Aucune capitale européenne ne voudra de la tenue de ce congrès sur son propre sol pour des raisons évidentes. Au contraire, tous les chefs du FIS à l'étranger, Dhina, Abdellah Anas, Ahmed Zaoui ou encore Qamareddine Kherbane, affichent un profil bas et s'effacent peu à peu du devant de la scène. Une attitude contraire les aurait totalement laminés dans un contexte politico-sécuritaire marqué par un forcing des pays de l'Union contre les réseaux islamistes en Europe. Quoi qu'il en soit, et depuis le début de l'année, la mouvance islamiste a été la plus active, la plus «turbulente», serions-nous tentés de dire. A l'image de la «Ligue de l'appel à la nation», vaste organisation qui regroupe les principaux partis et personnalités islamistes du pays, la mouvance a été présente sur tous les fronts et souvent, le jeu de lobbying dont elle use ne transparaît que dans ses effets. Derrière les petits pas qu'elle semble faire avec lourdeur, dans un contexte qui ne l'appuie pas, la mouvance islamiste accomplit de grandes manoeuvres de fond. Les résultats risquent d'être forts éloquents lors des prochaines élections. Et ni les laïcs ni les démocrates, déchirés par leurs luttes de leadership, ne trouveront à redire.